Au cours de la 6e soirée de «Mûsîqât» à Ennejma Ezzahra, une nouvelle rencontre a eu lieu entre artistes et public autour des musiques classiques du monde. Et c'était au tour du pays des temples et des divinités de livrer le mystère de ses coutumes musicales ancestrales. Ce qu'il faut savoir à propos de la musique et de l'art, en général, en Inde, c'est qu'ils sont considérés comme divins, parce que, étroitement, liés à la religion. Une définition, vieille comme le monde, confirme cette idée de lien indissociable : «La musique est née du dieu Shivan, lui-même ; elle constitue un miroir de la nature et de la vie sous toutes ses formes : paisible, passionnée et sombre. C'est la plus haute expression des émotions et des sentiments». Le concert de Kakoli Sengupta a reflété tout cela. Accompagnée de deux musiciens vêtus de costumes traditionnels indiens, Kakoli a pris place devant son harmonium (clavier indien), saluant le public avec un geste gracieux de remerciement et de respect, comme le veut la coutume indienne. Et d'entamer la première partie du spectacle avec une longue chanson où elle s'adressait aux dieux de l'Inde, «Salutations aux divinités». Et nous sommes partis pour un périple à dos de rythmes, de sons et de paroles. Nous avions l'impression d'être dans ces merveilleux temples, expérimentant une ambiance de spiritisme, de sacré, de méditation et de mystère. Nous y étions tellement que nous sentions presque l'odeur des encens indiens sur les lieux. Dès la première note, la voix de Kakoli part, pure, douce et forte à la fois. Soutenue par deux virtuoses du violon et de la tabla, la chanteuse puise dans un héritage musical multi-millénaire, gérant sa grande complexité avec beaucoup d'aisance et de charisme. La musique qu'on a eu le plaisir de découvrir est celle du nord de l'Inde, dite «Hindoustani» (du nom de la région du même nom), qui a été influencée par les civilisations persane et islamique. Cette musique est elle-même divisée en diverses grandes familles de styles, comme, entres autres, le Dhrupad (chant religieux remontant au XVe siècle), le Khayal (musique de cour), le Ghazal (chanson d'amour du Pendjab), ou le Qawwali (fusion entre musique persane et musulmane soufie, représentée au Pakistan, par exemple, par le célèbre Nusrat Fateh Ali Khan). Chacun de ces styles est développé de manière originale par des écoles diverses (les gharana). On a eu ainsi droit à une variété fort alléchante de ces chansons dont les paroles nous ont été traduites dans la langue de Molière par une belle déclamation de la chanteuse, pour permettre au public de mieux apprécier ces joyaux indiens, qu'elle nous a rendus dans une parfaite maîtrise des intonations et des rythmes. Avec des gestes mimant ceux des arts martiaux, elle semblait contrôler ses envolées et les vibrations de sa voix auxquelles elle semblait tracer un cheminement magique dans l'espace. Une voix si pure, si mélodieuse et si forte sans artifice, se permettant des vocalises et autres ornementations ahurissantes de virtuosité, cela ne court franchement pas les scènes. La dernière partie du spectacle fut une sorte de prière où le trio a appelé pour une paix éternelle à ses dieux. Une exécution merveilleuse qui a encore une fois révélé des artistes en pleine possession de leur art, qui ont cette simplicité et ce naturel propres aux vrais virtuoses. Un beau spectacle dont on redemandera toujours.