«Aghani el hayet» (chansons de la vie), tel était l'intitulé du spectacle de Ridha Chmak, présenté, mercredi dernier, sur la scène du théâtre antique de Carthage. Une ode à la vie et à la liberté qui venait célébrer comme il se doit le 55e anniversaire de la déclaration de la République. Inclassable, ce Chmak. Compositeur et virtuose du luth, ce dompteur du son, et marginal pour certains, est connu par les avertis pour sa sagesse folle et son amour pour le son et le verbe. Un authentique artiste qui ne connaît rien du terre-à-terre et qui ne parle que le langage de l'art. Le public de Carthage s'était déjà délecté de sa musique et de sa présence, l'année dernière, lors de la soirée d'ouverture. Cette année, il nous revient avec le spectacle «Aghani el hayet», où il donne encore la réplique aux poèmes de Darwish, de Nizar Kabani et de Aboul Kacem Chebbi, enveloppant de ses compositions l'acuité de leurs mots. C'est en maestro et en chef d'orchestre que Chmak s'adresse à un public peu nombreux (dommage!) composé d'avertis, de mélomanes et de quelques curieux qui ont bien fait de bouder leurs petits écrans ramadanesques. Il se met face à sa troupe composée de jeunes musiciens, dont certains de ses disciples, avec au milieu de la scène les luths, le clavier, l'accordéon et la chorale, alors que sur les côtés, nous avions les percussions, une guitare basse, une batterie, une trompette et une armée d'archets caressants qui annoncent à l'unisson et d'emblée la couleur. Tour à tour, les mêmes jeunes interprètes qui l'ont accompagné l'année dernière, à savoir Asma Ben Ahmed, Raoudha Ben Abdallah et Walid Mzoughi, enveloppaient de leurs voix les manifestes poétiques des grands poètes cités plus haut. Mzoughi, avec l'intensité de son timbre, donne le la avec Iradatou al hayet (la volonté de vivre) de Chebbi, annonçant un délectable voyage vers des contrées de liberté, d'humanité et d'amour, avec comme capitaine l'incontournable Chmak qui, d'un port à l'autre, nous guidait, à travers une multitude de rythmes. «Où est donc passé, ô peuple, ton cœur battant. Où sont passés l'ambition et le rêve...», nous chante Raoudha Ben Abdallah, reprenant les mots de Nizar Kabani, avant que le maestro ne s'adresse à l'audience, à sa mère plus précisément, présente ce soir-là, pour lui offrir ses propres mots qui rendent hommage aux mères. Il accoste encore son public pour lui chanter, à son grand plaisir, Hay ed'dik (le quartier du coq) de Kabani. Sa musique, qui fait écho à l'intensité des mots de ces grands poètes, a su faire taire les sirènes les plus redoutables, pour nous mener jusqu'en Inde en rendant hommage à Tagore, une grande figure de la littérature indienne, avec l'ajout de la «tabla» domptée par un jeune musicien tunisien. Voilà des créations musicales 100% tunisiennes qui ont fait honneur au théâtre romain et à la musique tunisienne. Nous gagnerions à ce qu'elles soient plus présentes sur la scène, ne serait-ce que pour faire l'équilibre avec l'indigestion sonore régnante. Bravo Chmak!