De notre envoyée spéciale, Samira DAMI Dans Film socialisme, son dernier-né projeté en hors compétition à Cannes, Jean-Luc Godard, figure emblématique de la Nouvelle Vague, livre dans un style brillant sa vision sur le monde contemporain en remontant le cours de l'histoire. La Palestine, Barcelone, la Grèce, l'Egypte, Odessa sont des stations-phares de sa réflexion. Cette invitation au voyage se veut une symphonie en trois mouvements racontant notre humanité entre tourments, tragédies et utopies. Selon Godard. Film socialisme serait-il le film-testament, la dernière œuvre de Godard ? C'est en tout cas ce qu'il a annoncé de la Suisse où il vit, ne s'étant pas déplacé à Cannes pour le présenter. Dans Film socialisme, Godard orchestre une symphonie en trois mouvements : «Des choses comme ça» en est le premier mouvement, l'action se situe dans un paquebot en croisière en Méditerranée où des passagers de diverses nationalités conversent en plusieurs langues. Le deuxième intitulé «Notre Europe» met en scène, le temps d'une nuit, une grande sœur et son petit frère qui ont convoqué leurs parents devant le tribunal de leur enfance, demandant des explications sérieuses sur les thèmes de la liberté, de l'égalité et de la fraternité. Enfin, le troisième mouvement, «Nos humanités», propose une visite de six lieux de vraies/fausses légendes : Egypte, Palestine, Odessa, Hellas, Naples et Barcelone. Le résultat est merveilleux et merveilleusement fidèle à l'univers et au style godardiens. Une composition d'images et de sons denses et riches, tenant de la peinture et de la poésie dans une écriture cinématographique moderne et brillante englobant toutes les formes d'arts et de nouvelles technologies. Un vrai kaléidoscope où les courtes scènes se déclinent de manière syncopée et elliptique. Véhiculant un discours philosophique et poétique truffé de citations littéraires et livresques (Balzac et «ses» Illusions perdues), cinématographiques (John Ford, Agnès Varda, etc). Godard remonte le temps jusqu'à l'Egypte ancienne, nous invitant à un voyage où il explore, à sa façon, l'histoire et ses événements et faits prégnants : 1948 et la Palestine qu'il dit convoiter depuis 1926. L'Europe qu'il souhaite voir «vivre heureuse avant de mourir», et à laquelle il reproche d'être dépendante de l'Amérique et d'avoir abandonné la Palestine et l'Afrique. Godard utilise une métaphore pour livrer son regard et sa vision du conflit israélo-palestinien : pour cela, il montre «deux trapézistes» (images puisées dans l'un des opus de Agnès Varda) dont les mouvements reflètent une totale harmonie, alors que l'on entend deux voix croisées féminines, l'une interprétant le Coran et l'autre le Talmud. Une voix en off ponctue la scène de cette citation : «Les idées nous séparent, les rêves nous rapprochent». Godard évoque également d'autres thèmes : la famille et le cinéma. Du cinéma il dit : «Hollywood a été inventé par les juifs et je comprends que tous les regards dans ce monde soient tournés vers cette Mecque du cinéma». Souvenirs, regrets et illusions perdues sous-tendent ces thématiques récurrentes chez le dernier des Mohicans de la Nouvelle Vague livrant, tel un testament, sa vision du monde. A ces thèmes qui ont hanté les dernières œuvres de Godard s'ajoute — ère de l'Internet oblige — celui de la propriété intellectuelle et de la propriété tout court (l'eau est un bien public, dit une voix off, tandis qu'à l'écran s'affiche un gros plan sur la mer), d'où le titre de cet opus : Film socialisme qui révèle clairement son credo : «Pas de droit d'auteur à l'ère du numérique». A preuve, son film sera mis en ligne sur Youtube (films-TV) en même temps que sa distribution dans les salles. Belle réflexion très fouillée sur le monde, Film socialisme entre art, sens et parfois même utopie, en totale dissonance avec ce qui se passe dans le monde, est l'une des plus belles œuvres de Godard. Espérons que ce ne sera pas vraiment le dernier.