L'ancien Premier ministre français Dominique de Villepin a avancé cinq orientation pour de nouvelles relations entre l'Europe, le Maghreb, l'Afrique et le Moyen-Orient. Il s'agit de tourner la page de l'aide, de penser en termes de voisinages et de co-architercture, de refonder les relations avec l'entreprise, de sceller un pacte avec les territoires et les diasporas et d'articuler la maitrise des frontières et la circulation des talents. A ce sujet, il a souligné qu'il ne faut «ni fermer les frontières, ni fermer les yeux.» S'adressant vendredi matin aux participants aux Journées de l'Entreprise (IACE, Sousse, 11 -13 décembre 2025), il a brossé un panorama des nouvelles mutations dans le monde (lire texte intégral), avant de souligner les atouts de la Tunisie. M. de Villepin a énuméré des impasses à éviter (autarcie, empire et batailles identitaires) et des opportunités à saisir. Extraits 1. Première orientation: sortir de la logique de l'«aide au Sud» Nous devons tourner la page d'un modèle où certains "aident" et d'autres «reçoivent». Il ne correspond plus aux réalités de puissance, ni aux attentes des sociétés. L'enjeu est désormais de co-écrire les règles qui nous lient: - les règles économiques qui déterminent les conditions d'accès aux marchés ; - les règles climatiques qui organisent la transition et la répartition des efforts; - les règles numériques qui encadrent les données, les infrastructures et l'intelligence artificielle. Nos partenaires du Sud de la Méditerranée et du continent africain doivent être des coarchitectes de ces normes, pas des exécutants. 2. Deuxième orientation: penser en termes de voisinage et construire des infrastructures communes Les catégories de "Nord" et de "Sud" figent les rôles et entretiennent la distance. Pour nous, la bonne échelle est celle du voisinage. Nous partageons des mers, des routes, des flux humains, des vulnérabilités communes. Entre l'Europe, le Maghreb, l'Afrique et le Moyen-Orient, nous formons un espace continu: • soit nous l'organisons comme un espace de stabilité et de prospérité, soit nous l'organisons comme un espace de stabilitésoit il devient une ligne de fracture permanente. Cette logique de voisinage doit se traduire par des infrastructures concrètes et des coinvestissements visibles des deux rives, autour de plusieurs sécurités essentielles: • Sécurité de l'eau et de l'énergie : interconnexions électriques, projets communs dans les énergies bas carbone, infrastructures de dessalement et de gestion de l'eau; • Sécurité alimentaire : corridors logistiques, ports, hubs de stockage, modernisation des chaînes de transport entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient; • Sécurité numérique et scientifique : câbles, data centers, plateformes de recherche, campus partagés, programmes conjoints de formation; • Sécurité face aux trafics et aux organisations criminelles et terroristes: coopération policière et judiciaire, dispositifs coordonnés de contrôle des frontières, lutte contre la traite des êtres humains, les trafics de drogue, d'armes et les financements illicites. Cette alliance de voisinage par les infrastructures doit être assumée comme un choix stratégique de long terme. 3 - Troisième orientation: mieux prendre en compte le rôle et l'apport des entreprises L'entreprise est un acteur de stabilité économique et sociale : • par l'emploi, • par la formation des jeunes, • par son ancrage territorial, • par sa contribution à la transition écologique. En retour, l'Etat doit garantir des règles stables, des procédures lisibles, une justice prévisible. Pour y parvenir, nous devons entrer dans une logique de concertation et de prévisibilité des relations entre Etats et entreprises, sur des périodes d'au moins trois à cinq ans, autour d'objectifs clairs: • création d'emplois, • volumes d'investissement, • montée en gamme industrielle, • engagements environnementaux. Ces objectifs doivent permettre de donner de la visibilité aux acteurs économiques comme aux territoires. 4. Quatrième orientation: donner un rôle central aux territoires et aux diasporas La réussite de nos relations se joue d'abord dans les territoires. Les villes, les régions, les universités, les hôpitaux, les chambres de commerce, les diasporas sont au cœur des projets concrets: • coopérations urbaines sur le climat, les transports, le logement; • filières industrielles ou agricoles co-organisées entre régions; • programmes communs d'enseignement, de recherche et de santé; • projets d'investissement, de formation et d'innovation portés par les diasporas. Ils doivent être considérés comme des acteurs à part entière de la coopération, et non comme de simples relais d'exécution. 5. Cinquième orientation: articuler maîtrise des frontières, circulation des talents et coopération internationale Enfin, nous devons aborder la question migratoire avec lucidité et équilibre. Les sociétés européennes ont besoin de compétences et de main-d'œuvre dans de nombreux secteurs. Les jeunesses du Sud ont besoin de perspectives de mobilité, de formation et de travail. Mais nous savons aussi que des flux migratoires non maîtrisés déstabilisent les sociétés et nourrissent les tensions politiques. Une politique responsable doit articuler trois dimensions: ` • La maîtrise des frontières : lutte résolue contre les passeurs, les réseaux criminels et la traite des êtres humains, contrôle effectif des entrées et des séjours; • La coopération avec les pays d'origine et de transit: pour réduire les causes des départs contraints, soutenir des trajectoires de développement, renforcer les systèmes éducatifs et économiques locaux; • La circulation organisée des talents: voies légales claires pour étudier, se former et travailler, dispositifs encadrés de mobilité professionnelle, mécanismes favorisant les retours et les projets partagés entre pays d'accueil et pays d'origine. Il ne s'agit ni de fermer les yeux, ni de fermer les frontières. Il s'agit de réduire les flux irréguliers, de protéger les personnes contre les trafiquants et de construire une mobilité maîtrisée, au service de la stabilité des sociétés et de l'intérêt bien compris de chaque rive. Sortir de la logique de l'«aide», penser en termes de voisinage et d'infrastructures communes, contractualiser les relations entre Etats et entreprises, mettre les territoires et les diasporas au cœur de la coopération, articuler maîtrise des frontières, coopération et circulation des talents: ces cinq orientations tracent une voie. Elles nous invitent à passer d'une relation de dépendance à une relation de co-responsabilité, adaptée aux défis d'un nouvel ordre économique mondial et à la réalité de notre voisinage partagé.» Télécharger le texte intégral Lire aussi De Villepin aux Journées de l'Entreprise: éviter les impasses, devenir un carrefour euro-africain