La nouvelle saison culturelle du Club du roman (maison de la culture Abul Kacem Chebbi d'El Wardia), qui s'intéresse à la littérature tunisienne dans toutes ses formes, savantes et populaires, a démarré samedi dernier avec l'analyse du roman intitulé La boussole de Sidi Enna, de Salem Labbène. Ce roman primé aux Comar 2011 a fait l'objet d'une séance d'analyse et de débat qui a été animée par Youssef Abdelati et Ibtissem Khlil, l'écrivaine et enseignante de littérature et civilisation arabes. L'analyse a porté sur les différents aspects du roman, sur la forme comme sur le fond, dans l'objectif de décortiquer en profondeur ses différents thèmes. L'écrivaine a choisi de pencher son analyse sur deux questions qui parcourent le livre, à savoir la notion de la déchirure et du genre romanesque. Elle a entamé son exposé par un questionnement sur le genre de ce texte. Est-il vraiment un roman, une épopée humaine, un essai philosophique ou un récit de voyage? Dans quel genre et dans quel type le classer? La boussole de Sidi Enna est une épopée familiale, où l'auteur a essayé de dessiner un panorama de personnage de toutes les générations, avec leurs différents tempéraments et caractères. On en trouve une galerie dans ce roman racontant l'histoire dramatique d'une famille tunisienne d'origine monastirienne. L'auteur a choisi de nous apprendre tout sur son personnage principal «Brikcha». Il nous le décrit dans le moindre détail et nous renseigne sur sa vie, ses tourments, sa réalité, ses rêves et ses cauchemars... Le lecteur averti se trouve dès lors pris dans les dédales de cette labyrinthe et se pose tant de questions; ce personnage est-il bel et bien un personnage réel, inventé, innocent, est-il fou, sage....? Ces questions qui restent sans réponses ne reflètent que la psychologie de l'auteur même, de chaque individu, de chacun de nous et de tout être dans le monde. S'agit -il d'une aventure fantastique que notre auteur a voulu partager avec son personnage et nous la faire partager? En effet, la pluralité des narrateurs et des voix qui résonnent dans ce texte nous renseigne sur la psychologie du personnage, ses déchirures, sa perte dans le monde. D'ailleurs, le titre même du roman en est révélateur et symbolique. La boussole qui normalement constitue un repère d'orientation devient dès lors un moyen de désorientation et un moteur catalyseur qui joue des personnages, des évènements et même de la trame romanesque. Ce roman unique en son genre et unique dans son sens, est un texte hybride. Tous genres et types confondus, l'auteur veut tout raconter, tout dire: des délires, des réalités, et nous fait entrer dans son univers magique et fantastique. L'auteur joue dans ce roman énigmatique de son personnage, du lexique (insertion de termes en dialecte tunisien) et brise le corsage classique des règles de la narration. La boussole de Sidi Enna ne serait-t-il pas un essai sur l'absurdité de la vie? Bourré de métaphores simples et filées, d'anaphores, de leitmotivs et de redondances, ce texte creuse dans la mémoire collective et puise ses références dans tout ce qui est populaire et patrimonial. Titre suggestif et personnages symboliques, entre les essais de Kafka, les romans de Balzac, les personnages de Ghaylèn et Maymouna de notre grand essayiste tunisien El Messadi, et de la littérature et la poésie chinoise qui est manifestement exploitée dans la rythmique du texte, Labbène nous offre par le biais de ce texte une expérience d'écriture purement personnelle. Le débat, a été animé par des hommes de lettres et des romanciers à l'instar de Thouraya El Farsi, Habib Marmouch, le metteur en scène Mongi Ben Brahim et d'autres, qui ont mis l'accent sur les quelques défaillances de l'œuvre, tel que la longueur et l'abondance de redondances dans certains épisodes. Par contre, ils ont souligné la beauté de ce texte bien écrit et bien structuré, dont découle une grande richesse culturelle. Il s'agit d'un drame qui parle du Moi, de l'Autre, de l'Existence du Mal et du Bien.