On s'attendait à la célébration, une célébration grandiose de Sidi Bouzid. Pour ses morts et, en premier lieu, pour Mohamed Bouazizi, le fer de lance du soulèvement du 17 décembre 2010, qui a abouti à la révolution tunisienne. Cette fête qui devait être «grandiose» n'a pas eu lieu, bien que le Cfrs Bouzid, le Comité du festival international de cette localité, ait invité tout le monde. Le 17 décembre 2012, deux ans après cet élan insurrectionnel, c'était lundi dernier. Or, hormis les officiels de la Troïka —Monsieur Jebali, en convalescence n'y était pas—, certains partis de l'opposition et les amis de Sidi Bouzid, personne n'a osé se déplacer. Cette célébration aurait dû se faire même à l'échelle nationale. Dans tous les cas, les chaînes satellitaires internationales l'ont rappelé. En France et partout ailleurs, on a projeté des séquences de l'ample mouvement populaire de Sidi Bouzid, de l'immolation de Mohamed Bouaziz et de bien d'autres jeunes de la région et de celles avoisinantes. Les chaînes tunisiennes ont couvert l'événement, les discours des tribuns, discours creux, évasifs quant à l'avenir de cette région et de sa population agricole, qui vit encore dans la misère et où le chômage des jeunes diplômés a atteint des chiffres record. Et la fronde s'est déclenchée de plus belle encore à travers les jets de pierres et les «Dégage». L'amertume de cette population est d'autant plus grande qu'on ne parle plus maintenant que de la révolution du 14-Janvier 2011 et non de la leur. Comme s'il y avait usurpation! A Tunis, sur la grande avenue, Nessma-TV a interviewé des citoyens jeunes et moins jeunes, leur demandant ce que représentait cette journée du lundi 17 décembre 2012. Mémoire courte, car la plupart d'entre eux ont relégué Sidi Bouzid à une «simple révolte»! Pourtant, on a bien vu ces femmes et ces hommes, qui ont perdu leurs enfants à Sidi Bouzid et ailleurs, hausser le ton, crier à n'en plus finir, hurler à la «trahison» et au détournement même de cette noble révolution sans laquelle il n'y aurait jamais eu de changement radical contre la dictature. Alors?... Mohamed Bouazizi ne serait-il devenu qu'une simple silhouette projetée sur l'écran de notre mémoire? Une ombre toute noire, une ombre pleine de cendres et de laquelle s'agite, s'élève encore la suie, mêlée à son sang lourd? Un être éteint pour rien? A jamais par le feu de la braise, la flamme ardente, les crépitements du corps brûlé à vif et ce cri de désespoir et de douleur atroce mêlés? Pour rien aussi? Ou bien un charbon incandescent et plein d'incantations, une lumière blanche, folâtre et qui ne cessera jamais de cingler notre esprit, notre mauvaise conscience, notre indignité? Mohamed Bouazizi, le symbole de Sidi Bouzid et de toutes les révoltes accumulées depuis si longtemps? Le symbole d'une jeunesse courageuse, intelligente, pleine de dévouement. Son nom est déjà inscrit dans l'histoire, et la Tunisie, grâce à lui aussi, ira de l'avant malgré ceux qui pensent encore que cette révolution, qui n'est pas la leur, va plutôt servir à de nouveaux et sinistres projets. Aidons nos jeunes avant qu'il ne soit trop tard...