Loin de la politique et de ses contradictions, loin des bla-bla-bla des télévisions et des émissions qui n'en finissent pas de tourner en rond, loin du blocage des mots au bout des plumes des poètes et des notes de musique qui frustrent nos compositeurs, sans parler des voix qui se cassent au gré de ces jours maussades, l'Orchestre symphonique tunisien nous offre une soirée exceptionnelle, un voyage dans le temps et dans l'espace à travers «la belle musique». Le plaisir est d'abord de voir cette enceinte du Théâtre municipal presque pleine et l'appréhension des mélomanes en ce lundi 14 janvier, jour de manifestations, loin d'être dissuasive. La présence, bien que discrète, du ministre de la Culture donne un caractère officiel à la soirée. Le plus important est le sérieux avec lequel Hafedh Makni, directeur de cet orchestre, a préparé son spectacle. Première partie de Hafedh Makni La scène accueille plusieurs dizaines de musiciens d'âge et de sexe différents ; et sur un podium haut de vingt centimètres, le chef d'orchestre vêtu d'un beau smoking en queue de pie noire, mène la danse. Point de micros, la structure de la Bonbonnière retrouve sa vraie vocation acoustique. D'abord Mozart, le grand Mozart, l'Autrichien (1756-1791), presque joyeux, puis Paganinin, né à Gênes (1782-1840). Quant à Rossi, qui vit le jour tout à la fin du seizième siècle et qui est mort à Rome 55 ans plus tard, il nous a baladés en compagnie d' «un Italien à Alger», un bon moment fort applaudi. En fin de cette première partie, Hafedh Makni nous fait découvrir Suppé, un autre compositeur autrichien qui a vécu au XIXe siècle, spécialiste d'opérettes, telle la tireuse de cartes. Le morceau s'appelle poète et paysan et nous offre un beau solo de violoncelle. Deuxième partie de Mohamed Makni Il s'agit du frère aîné. Il vit à Toulouse depuis 1983, date à laquelle il quitta la Tunisie, avec une certaine amertume dont il n'aime pas trop parler. Il est revenu, ce soir-là, plein de générosité et d'énergie pour monter sur le podium, tandis que Hafedh reprend son violon et remplace ainsi sa fille au-devant de l'orchestre, pas loin d'un autre frère qui n'est autre que le premier violon. Il est dommage qu'un musicien comme Mohamed Makni, violoniste de talent et chef d'orchestre hors pair, soit peu connu du public tunisien. Mais il nous revient ce soir après 29 ans d'exil artistique avec pas moins de 29 symphonies, composées par lui-même, à commencer par Le méditerranéen, puis Airs du désert dédiée à Aboulkacem Chebbi, à l'occasion du centenaire de sa naissance. Auparavant, il fait un clin d'œil à Brahim Bahloul pour son anniversaire en faisant jouer happy birthday à tout l'orchestre. Ensuite une Romance bien mélodieuse et très applaudie. Enfin, le clou de la soirée : la symphonie spécialement conçue et dédiée à la révolution, composée de quatre mouvements, dont le dernier est offert au public, interprété par Haythem Rafrafi, un baryton, qui adresse par le chant un message aux jeunes. Ce n'est autre que celui du cafetier de Mhemdia, paroles désormais collées à l'histoire : c'est notre message pour les jeunes, pour que vous donniez à la Tunisie ce que nous n'avons pu lui donner ; nous avons vieilli (haremna) pour en arriver à ce moment historique. Et d'ajouter : Nous avons vieilli, mais jamais nous n'avons perdu l'espoir ! Mahamed Makni s'en donne à cœur joie. Il s'offre même l'hymne national Houmet al hima, puis un bout de Sidi Mansour. Nous découvrons un chef d'orchestre dynamique, tout en mouvement, accompagnant tous ses gestes avec un brin de danse. On croit à un certain moment qu'il va s'envoler. Soirée agréable en somme qui initie le public tunisien à la grande musique et où nous découvrons la sensibilité d'un musicien tunisien capable de composer vingt-neuf symphonies. Et c'est du bonheur !