Chokri s'est tu à jamais... Ils ont bien répondu au dialogue auquel il les appelait... ». Quand, à huit heures trente du matin, l'épouse de Chokri Belaïd martelait cette phrase au téléphone de Radio Mosaïque, la Tunisie se réveillait sous le choc et devant la fatalité du crime politique annoncé... En quoi l'assassinat du Secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié était-il prévisible et imparable? Marque-t-il le glissement du pays dans une spirale de violence milicienne ou le début d'une prise de conscience politique ? «Dans le hall de la clinique Ennassr, où la confirmation du décès de Chokri Belaïd nourrit colère et émotion, Hamma Hammami, leader du Front populaire qui vient de perdre un «rafik», remonte le temps : «Les menaces de mort contre Chokri ne datent pas d'hier. Elles proviennent malheureusement de différentes parties. Il était l'objet d'une attaque dans un café. Il était le week-end dernier la cible des ligues de protection de la révolution qui ont assailli le meeting du Kef... Nous avons récemment commencé à recevoir des SMS nous promettant, nommément, le retour de jihadistes du Mali qui vont nettoyer le pays des laïcs et des mécréants... Aujourd'hui, cet assassinat a visiblement été planifié et exécuté par des professionnels. Il a été commis par des parties qui veulent enfoncer le pays dans le meurtre et l'anarchie... » Rafik Chokri : cible nommée et tête d'une black list A peine le décès de Chokri Belaïd confirmé par l'équipe médicale de la clinique Ennassr, famille et amis du défunt, amis, militants du Watad et du Front Populaire et une grande foule de Tunisiens simplement sous le choc adhèrent sans l'ombre d'un doute à la thèse de l'assassinat politique prémédité. Plus qu'une simple prémonition, le leader emblématique de la gauche en avait la certitude. Dans la dernière conférence de presse qu'il donnait pas plus loin que lundi dernier à Tunis, et au cours de l'émission télévisée à laquelle il était invité le soir même, son message est sans ambiguïté : «La recrudescence des actes de violence politique et des attaques contre son parti et toute l'opposition est un crime contre le processus démocratique dans le pays». S'adressant au président d'Ennahdha et au ministre de l'Intérieur, il avertissait « des tentatives de démantèlement de l'Etat et de création de milices pour terroriser les citoyens et entraîner le pays dans une spirale de violence à travers les ligues de protection de la révolution...» En juin dernier, juste au lendemain des évènements d'Al Abdellia, des salafistes radicaux rassemblés à Zarzis ont appelé à la mort des « athées » avec en tête de liste, Chokri Belaïd. La même black list meuble régulièrement les murs des admin et est citée dans les hauts parleurs des prêches du vendredi. Devant deux scénarios... Des faits et des pistes visibles aux rumeurs sur les complots visant les figures de l'opposition, les réseaux parallèles du ministère de l'Intérieur et les projets de liquidations physiques des symboles de la résistance, il est clair que l'assassinat de Chokri Belaïd s'inscrit dans la logique imparable de l'affaiblissement des institutions de l'Etat, du passage à l'acte des milices, de la banalisation de la violence politique, de sa justification aux plus hauts sommets de l'Etat, de l'impunité de tous les actes commis jusqu'ici, et la non-élucidation des grandes énigmes de la mort de Lotfi Nagdh à Tatouine, des évènements du 9 avril, du 14 septembre et du 4 décembre dernier... Cible nommée d'un assassinat politique annoncé, Chokri Belaïd sera-t-il pour autant le dernier ? La question qui revenait dans toutes les réactions et les déclarations pointe, pour tous, le virage historique qu'emprunte, désormais, le pays à équidistance entre le glissement vers une spirale de violence programmée par les instigateurs mêmes du crime ou vers une prise de conscience politique qui rejoindrait les derniers vœux de Chokri Belaïd proposant, avant hier, la tenue d'un congrès national pour lutter contre la violence...