Depuis l'avènement de la révolution, les négociations avec les différents partenaires en matière de libéralisation des services, dont le métier d'avocat, sont en stand-by. S'attendant à une relance de ces négociations, les avocats mettent en garde contre une ouverture sans contrôle, appellent à être impliqués dans la prise de décision et pointent du doigt l'installation illicite en Tunisie de cabinets étrangers. Plus de vingt millions de dinars en 2012, c'est le chiffre avancé, hier, par le bâtonnier Chawki Tabib quant au chiffre d'affaires des cabinets étrangers qui sont déjà installés en Tunisie. «La mondialisation, c'est déjà aujourd'hui. C'est un phénomène qui nous interpelle à titre individuel et au niveau de la profession. En effet, outre l'ouverture et la valeur ajoutée qu'elle génère, il y a des incidences matérielles (concurrence grandissante), ainsi que des défis déontologiques engendrés par la libéralisation qui permet quelque part d'échapper aux normes déontologiques du métier», a indiqué, hier, le bâtonnier tunisien, lors d'un séminaire scientifique organisé par l'Ordre des avocats de Tunisie. D'après lui, en 2012, les cabinets étrangers installés illicitement en Tunisie ont généré un chiffre d'affaires de plus de 20 millions de dinars, contre 7 millions de dinars, deux ans avant. Tout en affirmant que le métier d'avocat est déjà protégé, il a insisté sur la nécessité de se protéger davantage avant de signer des conventions de libéralisation et d'ouverture, notamment en renforçant les capacités des avocats et en les impliquant dans la prise de décision concernant cette ouverture des services à la mondialisation pour rester dans le cadre d'une concurrence loyale. «Nous ne sommes pas contre l'ouverture mais plutôt pour la détermination des conditions de cette ouverture. Pour le moment, on ne nous a pas consultés quant aux négociations que l'Etat a engagées avec les différents partenaires de la Tunisie dont l'Union européenne. Il faut que la profession soit mise à niveau avec un cadre juridique bien défini. De même, il faut décider une certaine primauté pour l'avocat tunisien et installer un contrôle de la profession qui doit être effectué par la structure ordinale», a conclu le bâtonnier Chawki Tabib. Une ouverture par étapes Rebondissant sur l'implication des professionnels, notamment l'Ordre des avocats, dans les négociations de libéralisation des services, la directrice de la coopération avec l'Union européenne au ministère du Commerce, Fatma Oueslati, a précisé, lors de son intervention, que les négociations, suspendues depuis l'avènement de la révolution, reprendront «prochainement» et qu'elles seront entamées avec la présence des professionnels. Alors qu'elle n'a pas voulu dévoiler la tendance du ministère quant à l'ouverture du secteur «services» à la mondialisation, la directrice a indiqué que l'Etat reste sur une politique de libéralisation vigilante et y procède par étapes, comme c'est le cas lors des premiers engagements et accords du GATT en 1994. Fatma Oueslati s'est étalée sur l'historique du démantèlement des procédures commerciales allant jusqu'à la convention d'Agadir, dont les négociations, a-t-elle précisé, ont démarré l'an passé. Tout en soulignant l'importance de la mondialisation des services qui sont la cible de 70% des investissements dans le monde, elle a affirmé que l'offre tunisienne ne représente que 13% des engagements possibles. «2,8% de ces engagements sont réels quant à la vraie libéralisation des services. Ce sont des engagements consolidés dans leur majorité. La libéralisation des services, comme l'a démontré une étude récente de la Banque mondiale, améliore et la compétitivité et la productivité dans les divers secteurs économiques», a-t-elle ajouté. Sur un autre plan, elle a évoqué le statut de partenaire privilégié accordé dernièrement à la Tunisie par l'Union européenne et son impact sur le programme de libre-échange qui sera «profond et global». «Cependant, on appliquera le principe de gradation dans cette libéralisation et en gardant le principe d'exception pour certains secteurs. Il faut prendre en considération les spécificités sectorielles et la compétitivité», a-t-elle enchaîné. Crise de confiance et normes déontologiques La crise de confiance et quelques suspicions sur la moralité de l'avocat tunisien, c'est le cadre dans lequel l'avocat près la Cour de cassation, Farhat Toumi, a mis la profession d'avocat qui, selon lui, doit faire face à la mondialisation tout en tenant compte des spécificités nationales. D'après lui, les offres de certains pays au niveau du GATT démontrent l'absence d'une volonté réelle de libéralisation. Affirmant que la crise mondiale «a mis fin à toute confiance qu'avait le public dans la globalisation et dans ce monde sans frontières», il a souligné l'intérêt de réfléchir à d'autres champs d'activités dont la création de normes objectives internationalement reconnues pour mieux évaluer les prestations des avocats. Une réelle coopération entre les barreaux à travers des structures internationales est, selon lui, la solution pour prendre en compte les spécificités nationales, tout en étant dans les normes internationalement reconnues. Cependant et selon lui, il n'y a aucune raison pour que les cabinets internationaux d'avocats viennent s'installer en Tunisie. Tout en démontrant cette vigilance relativement excessive, Toumi a proposé des idées pour faire évoluer la profession. En effet, il a appelé à l'implication des barreaux pour préparer une vision prospective associant l'avocat à une réforme structurelle des métiers de la finance. «L'idée de développer le concept d'avocat conseil exerçant une activité d'audit juridique, venant compléter l'activité d'audit comptable et financière effectuée par le commissaire aux comptes, devrait être notre prochain chantier d'étude», a ajouté Farhat Toumi. Pour ce qui est du coordinateur national du projet d'assistance technique de l'UE à l'Institut supérieur de la profession d'avocat de Tunisie et avocat à la cour, Ivan Paneff, il est plutôt serein quant à la libéralisation des services juridiques et l'exercice de la profession d'avocat dans l'Union européenne. «Notre rapport avec l'Etat et les structures est défini notamment grâce aux normes déontologiques de l'exercice de notre métier. Notre profession est très spécifique et nos ordres sont généralement assez conservateurs avec certaines limites et restrictions à la pratique du métier. Le cadre déontologique est le sujet de plusieurs codes existants dans les différents Etats membres de l'Union. La pratique et le développement d'une déontologie plus raffinée dans les écoles aideront à dépasser les difficultés existantes», a-t-il enchaîné. D'après lui, l'harmonisation des normes, surtout déontologiques, aide à éviter les conflits de pratique de la profession dans les pays de voisinage ou qui sont liés par des conventions de libre-échange. Dans le cadre de sa mission en Tunisie, Paneff a souligné l'intérêt de la formation continue pour doter les avocats des capacités requises afin d'être compétitifs dans un cadre de libéralisation.