La situation politique intérieure est plus que jamais hypothétique. Les protagonistes soufflent le chaud et le froid. On est à la croisée des chemins. Résumons : d'un côté, la seconde phase du dialogue national, organisé avant-hier sous la houlette de la Centrale syndicale (Ugtt), s'est avérée prometteuse. Le nombre de partis et organisations de masse qui y ont pris part est révélateur d'un nouvel état d'esprit. Psychologiquement, on est loin de la logique de rupture qui avait prévalu lors de la première phase de ce dialogue, tenue en octobre 2012. Il est utile de souligner que les partis de la Troïka gouvernante ont tous pris part aux travaux. En octobre, le CPR et le mouvement Ennahdha s'étaient désistés. Il est vrai que ce second round de dialogue est survenu le lendemain même de la clôture du dialogue des partis. Ce dernier avait été chapeauté par la présidence de la République à Dar Dhiafa. Et il a balisé en quelque sorte la voie à la seconde phase du dialogue patronné par l'Ugtt. Les accords intervenus ici et là se recoupent amplement. Le plus important, outre les prédispositions psychologiques des uns et des autres, c'est la mise en place d'un comité de suivi élargi qui devrait se réunir dès lundi. Les accords intervenus sur des questions capitales seront finalisés, croit-on savoir, au plus pressé. Cela va de la conception de la Constitution aux échéances électorales. En passant par les questions sécuritaires et le traitement desdites ligues de protection de la révolution. Celles-ci ont officié jusqu'ici comme pomme de discorde entre tous les protagonistes, majorité gouvernementale et opposition compris. D'un autre côté, le bras de fer entre les forces de l'ordre et les partisans du mouvement dit Ansar Charia risque de tout hypothéquer. On n'est pas loin d'une atmosphère de veillée d'armes. Le dérapage tragique ou irréparable pourrait intervenir à tout moment. Pour l'heure, cela se cristallise autour du meeting supposé de Kairouan de ce dimanche. Ansar Charia voudrait en faire une espèce de démonstration de force, voire plus. Les autorités s'y opposent vigoureusement. On remarque depuis quelques heures un quadrillage des routes et voies d'accès à Kairouan par les forces de sécurité intérieure, police et unités de l'armée comprises. Et, en toile de fond, il y a la traque des groupuscules terroristes dans le jebel et ailleurs. Cela fait trois semaines que ça dure. Les Tunisiens n'y sont pas habitués. Ils ont les nerfs à fleur de peau, tandis que les rumeurs les plus folles circulent un peu partout. C'est dire qu'on est dans l'expectative. La Maison Tunisie offre un double visage. D'un côté, l'amorce d'un dialogue national prometteur. D'un autre côté, les risques et périls liés à la confrontation avec les salafistes. Dans tous les cas de figure, les gens mesurent le gouffre qui sépare la classe politique de leurs préoccupations. Le pays réel et le pays légal ne se juxtaposent point. L'été approche. Les mois les plus durs de l'année s'annoncent, même s'ils sont festifs. Les vacances, Ramadan, les Aïds et la rentrée scolaire en moins de trois mois sont de nature à compliquer la donne. Economiquement parlant, les Tunisiens ne jouissent pas d'un état de grâce. Les clignotants sont plutôt au rouge. Si les déboires politiques prennent le relais du malaise et de la mauvaise passe économique et sociale, cela ne sera guère sans risques et périls. Il appartient aux politiques de redoubler d'imagination afin d'être à la hauteur des spécificités du moment historique. S'en acquitteront-ils au moindre coût et au moindre mal ?
