En politique, comme dans les compétitions sportives, on est en train de jouer les derniers matches serrés de la saison ! Ennahdha lutte pour le maintien au pouvoir, tandis que l'Opposition vise l'accession au trône ! Mardi dernier, Abdelfattah Mourou émettait des craintes sérieuses sur l'avenir de son parti, une fois celui-ci battu aux élections. Un compagnon de route l'aurait convaincu que si Ennahdha était déchue, tous ses dirigeants seraient arrêtés et remis en prison. A l'en croire, les Nahdhaouis ne s'accrocheraient donc au pouvoir que par peur des représailles de leurs successeurs. Ils en ont de ces arguments cocasses et saugrenus, les hommes de Rached Ghannouchi, qui nous semblent plutôt avoir quelque chose sur la conscience ! Dans ce cas, en bons Musulmans, ils doivent redouter le châtiment de Dieu plutôt que celui de ses créatures. A moins que ces Sartriens qui s'ignorent pensent aussi que « l'enfer c'est les autres » ! Certes, mais à ce que nous sachions, Sartre était athée ! Se serait-t-il repenti, à notre insu, entre les mains d'un Cheikh wahhabite ou sous la tente d'un prédicateur jihadiste ?! En tout cas, le fait est là, Ennahdha semble dire à tous ses adversaires : « j'y suis, j'y reste » ! Qu'importent les raisons invoquées pour s'arroger le pouvoir : aujourd'hui, c'est un ami de Mourou qui en a fourni une ! Demain, on nous dira, à la suite de Houssine Laâbidi, que c'est le prophète ou même Dieu qui en a voulu ainsi ! Qui alors osera contrarier la Volonté du Seigneur ?! Notre Paradis ou leur Enfer ! En fait, Ennahdha a plus d'un tour dans son sac pour rester le plus longtemps à la tête du pays. Par exemple, elle est en train de mener une pernicieuse campagne électorale à l'occasion de la polémique autour du terrorisme jihadiste. En désapprouvant les méthodes d'Ansar Chariâa, en donnant l'impression de ne pas transiger sur les questions sécuritaires intérieures et en favorisant un soi-disant climat de « dialogue national », le parti de Rached Ghannouchi semble signifier à tous qu'ils n'ont que ce choix unique entre islamisme modéré (entendez celui d'Ennahdha) et terrorisme islamiste. En définitive, toutes les problématiques économiques, sociales ou sécuritaires n'entrent plus en considération dans le choix des prochains maîtres de la Tunisie. Autrement dit, c'est Ennahdha ou les Jihadistes ! Pas d'autre alternative ! Les concessions qu'Ennahdha donne l'air d'accorder à l'Opposition et à l'UGTT s'inscrivent dans cette insidieuse tactique : « Nous au moins, nous dialoguons ; nous ne tenons pas trop à l'application stricte de la Chariâa ; nous accordons des droits aux mécréants, nous ne fermons ni lupanars, ni bars, ni hôtels ; nous n'imposons pas le port du voile, encore moins celui du niqab ; nous sommes même prêts à renoncer au fameux projet sur l'immunisation de la Révolution ; notre chef tend la main à Béji Caïed Essebsi et se rapproche de Kamel Morjane ! Alors, notre Paradis, ou l'Enfer jihadiste ? » Tente oecuménique Tout en imposant ce dilemme aux Tunisiens, Ennahdha tient à ses « Ligues pour la Protection de la Révolution ». D'ailleurs, les séances de « Dialogue National » butent encore sur la polémique autour de la dissolution ou le maintien de ces milices défendues par Ghannouchi pour qui elles incarnent « la conscience de la Révolution » ! A y regarder de plus près, cet acharnement dans la défense des L.P.R. dissimule un autre marché de rusés : « La guerre aux jihadistes contre la paix aux Ligues ». Ennahdha ne peut tout de même pas se défaire de toutes ses arrière-gardes dans un combat pour la survie. Les élections démocratiques ne peuvent pas à elles seules lui garantir le maintien. Il lui faut sa propre armée de « jihadistes » qui peut, du reste, enrôler à toute heure des salafistes extrémistes. Pour dire les choses autrement, Ennahdha et Ansar Chariâa proposent chacun son style de jihad, mais ils poursuivent un même objectif, instaurer un régime théocratique en Tunisie. Le conflit qui semble actuellement les opposer se réduit à des divergences de forme. En effet, Rached Ghannouchi a souvent divisé les Tunisiens en croyants et laïcs, et les salafistes jihadistes lui rappellent toujours ses ardeurs de jeunesse extrémiste. A l'Assemblée Nationale Constituante, les députés nahdhaouis tiennent de temps à autre des discours de salafistes purs et durs ; dans les mosquées « libérées » par le Ministère des Affaires Religieuses, on dispense encore des prêches de talibans ; sur les plateaux de télévision et dans la presse écrite ou électronique, les dirigeants d'Ennahdha proposent la manière douce dans la lutte contre le terrorisme jihadiste en dépit des vies qu'il nous a coûtés et de l'écueil qu'il représente pour la reprise économique. En bref, Ennahdha propose sa « tente » comme unique toit islamiste susceptible d'accueillir toutes les familles politiques religieuses. Le parti de Ghannouchi mise sur la réussite de cette entreprise œcuménique pour espérer battre toutes les coalitions démocratiques, laïques, progressistes, modernistes liguées contre lui. Les appels à la souplesse adressés aux militants salafistes valent une invitation à une forme d'union contre le Mal incarné par ces « méchants » rivaux politiques. Compétition de monstres Oui, « méchants », parce qu'il existe des partis non islamistes (du moins en surface) contre lesquels Ennahdha n'a rien. Au contraire, elle s'efforce de les amadouer, et si elle ne le fait pas, ce sont eux qui rampent à ses pieds et ne la quittent plus d'une semelle. Pour ces partis aussi, c'est une question de survie ; eux, ils jouent le play-out et la carte d'Ennahdha peut leur permettre de sauver leur place en « Nationale ». Dans le camp d'en face, on en croise de ces partis minuscules menacés de « descente » et qui s'accrochent aux basques de Nida Tounès, du Front Populaire, ou de la coalition destourienne pour éviter la relégation. Pourvu bien sûr que les grandes formations auxquelles ils se sont alliés aient de réelles chances pour se faire couronner. Pour le moment et mis à part Nida Tounès que les sondages placent en favori de l'Opposition, aucun autre parti n'est en mesure d'inquiéter Ennahdha. Le Nida et ses alliés y vont mollo avec l'adversaire islamiste, mais ils tentent de le pousser à consentir un maximum de concessions et à cesser ses atermoiements savamment calculés. Ils ont l'UGTT à leurs côtés, mais la Centrale syndicale la plus forte du pays « n'est pas garantie », comme dirait l'autre ! Le Front Populaire n'est pas acquis non plus, et le rapprochement rêvé entre toutes les forces démocratiques de l'Opposition n'est apparemment pas pour demain. Pourtant, l'heure n'est pas à la « perte de temps ». De chaque côté, on a engagé une course contre la montre. Et gare à celui qui la perd. Car il risque, après, d'être dévoré par le…monstre !