Le littoral forestier, à l'ouest du pays, a fait beaucoup parler de lui ces derniers mois, et de quelle manière ! De Bouchebka à Chaambi, le terrorisme y a élu refuge, à la grande stupéfaction des Tunisiens. Le risque est grand de voir les forêts montagneuses, frontière sécuritaire naturelle et source de bien-être et de richesses, désertées, désavouées et livrées à l'abandon... à l'anarchie. Alors que la machine sécuritaire est encore sur le terrain, la société civile commence à se mobiliser. Il s'agit d'empêcher la forêt, désormais squattée et minée, de devenir le fief du terrorisme. Pour cela, il faut faire la guerre à la pauvreté et à l'exode. Le Centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-Ouest fait le premier pas et propose des idées et des projets de développement innovants et prometteurs. Avis aux décideurs. En raison des événements brûlants et sanglants de l'actualité, le thème de la forêt ne laisse personne indifférent. Et du côté du Nord-Ouest, avec ses quatre gouvernorats (Béja, Siliana, Jendouba et El Kef) qui couvrent 42% du littoral forestier et représentent 11% du territoire national et 13% de la population du pays, un groupe d'associations a rejoint le Centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-Ouest pour réfléchir ensemble sur les moyens et les mécanismes de sauvegarder l'espace forestier en tant que barrière sécuritaire naturelle, secteur de développement économique et social et source de santé et de bien-être. Leur action citoyenne a démarré en mars dernier avec l'organisation d'un premier colloque régional sur les potentialités de l'écotourisme dans le Nord-Ouest, puis d'un second, au début de ce mois de mai, sur l'antagonisme qui frappe l'espace forestier, naturellement riche mais où les conditions climatiques sont rudes et les conditions de vie des populations autochtones sont misérables. Ce deuxième colloque s'est tenu en marge de la 13e édition de la manifestation «La marche pour tous» dans la forêt de Tabarka, organisée par l'association sport, culture et travail de Jendouba. Lancement du festival annuel de la forêt Le Centre de réflexion stratégique pour le développement du Nord-Ouest vient de présenter aux médias les conclusions de ces deux rencontres et surtout les recommandations à même de booster le développement dans la région à travers la revalorisation de la forêt en tant que facteur de croissance économique et de stabilité pour les populations autochtones et pour le pays en général. Deux messages urgents ont été lancés par M. Kamel Ayadi, président d'honneur du Centre. Le premier met en garde la communauté nationale contre la désertion et la désertification de la forêt : «La forêt n'est pas le fief du terrorisme, elle ne doit pas être désertée par ses habitants ni par ses visiteurs; la forêt est source de richesses et de bien-être, cette image doit être préservée et nous devons travailler pour cela». Le second message est un appel à participation et à mobilisation générale dans des actions touristiques, culturelles et économiques pour développer et dynamiser l'espace forestier. «Nous annonçons le lancement du festival annuel de la forêt dans le cadre de nos activités pour revaloriser les fonctions de l'espace forestier et son impact positif sur les domaines de l'économie, la santé et la culture», avance-t-il. Un festival qui tentera de drainer la foule pour bien profiter des bienfaits de la forêt et briser ainsi l'image de la forêt squattée, minée, assiégée. Selon M. Kamel Ayadi, «il faut réussir à couper les ponts de communication entre les terroristes et les populations autochtones et riveraines qui fournissent aide et nourriture ; sans ce lien avec les populations riveraines, le terrorisme ne peut pas s'installer». Mais comment réussir? «La misère et l'exclusion sont le terreau du terrorisme, il faut, donc, faire en sorte que les conditions de vie de ces populations soient véritablement améliorées, que le sentiment d'exclusion et de marginalisation soit banni et que la forêt ne représente plus le refuge idéal pour les terroristes mais plutôt une barrière contre l'insécurité», suggère M. Ayadi. C'est ainsi qu'expliquent les experts en développement la raison pour laquelle les terroristes se sont abrités dans le littoral forestier. Les experts en géostratégie auront d'autres arguments géopolitiques pour répondre à la question. Mais l'important est que chacun agisse de son côté pour, au bout du compte, servir l'intérêt général. Instaurer un modèle de développement participatif La tâche n'est pas aisée. Ni pour les uns ni pour les autres. «La forêt est en danger depuis longtemps, on ne s'y intéresse plus, il n'y a plus ou peu de garde forestier, les randonneurs ont disparu ; depuis 1996, la première association de jeunes randonneurs a été créée l'an dernier», raconte, avec amertume, M. Nabil Ben Abdallah, forestier et hôtelier dans la région de Tabarka depuis 38 ans. «Nous sommes tous responsables de l'abandon de ces régions si riches et si pauvres à la fois ; le manque d'initiatives favorables au développement économique des forêts est à l'origine de leur dégradation et de leur perdition», ajoute à son tour M. Mohamed Maaroufi, représentant de l'association sport, culture et travail de Jendouba, organisateur de la manifestation «La marche pour tous» à Tabarka et qui, cette année, pour sa 13e édition, a connu un franc succès avec pas moins de 700 participants venus de différentes régions. Pour les membres de la société civile du Nord-Ouest, les solutions doivent être draconiennes et un certain nombre figure dans les recommandations issues des deux colloques sus-indiqués. Celles-ci sont valables pour l'ensemble du littoral forestier. Il est ainsi recommandé notamment de réviser la législation et particulièrement les articles 18 et 35 du Code forestier afin de renforcer et consolider l'exploitation de la forêt par les populations autochtones, d'aménager sur place des unités industrielles de transformation des ressources forestières, de créer des circuits de distribution pour les produits forestiers locaux ainsi qu'un fonds de développement et de diversification des ressources forestières. Il est également recommandé avec insistance que soient associées les populations autochtones et riveraines à tous les projets, du stade de la conception à celui de l'exécution et de la commercialisation et particulièrement aux activités des groupements locaux de développement agricole. A noter que pas moins d'un million de personnes vivent de la forêt qui, par ailleurs, rapporte à l'Etat la bagatelle de 14 MD par an à partir de la commercialisation de certains produits forestiers. La seule exportation du liège génère une recette de 21 MD. Les forêts et les parcours produisent annuellement une moyenne de 250 mille mètres cubes de bois, 8 mille tonnes de liège, 35 mille tonnes d'alfa et fournit entre 10 et 25% des besoins du cheptel national en unité fourragère. Le gouvernorat de Jendouba à lui seul fournit 90% de la production nationale de liège et 52% des revenus directs de la commercialisation des produits forestiers du Nord-Ouest. Paradoxalement, la population forestière qui présente une forte densité équivalente à 90 habitants au km2, nettement supérieure à la moyenne nationale, effectue des prélèvements quotidiens sur les forêts soit directement, soit par l'intermédiaire du bétail pour subvenir à ses besoins de survie. En développant la forêt et en réconciliant l'Homme avec son environnement forestier, la communauté nationale fera d'une pierre deux coups : développer les ressources de l'Etat et des populations locales et déloger le terrorisme.