Tout au long du littoral du nord-ouest tunisien, sur la dorsale des Mogods et de Kroumirie, une nature si belle et généreuse continue à livrer ses secrets éco-touristiques et s'enorgueillir d'une diversité biologique pittoresque qui en fait, d'ores et déjà, une aire marine et forestière forcément protégée. Située entre deux caps, Négro et Serrat, cette zone pilote ne cesse de susciter l'intérêt tout particulier du Fonds mondial pour la nature (WWF-Tunisie) qui vient redorer son blason, remuant ciel et terre pour préserver sa virginité et défendre sa durabilité. Actuellement, elle fait l'objet d'un plan de gestion intégrée mis en œuvre à l'initiative de l'Agence de protection et d'aménagement du littoral (Apal) et de la direction générale des forêts qui veille à la sauvegarde du parc national de Jebel Chitana- Cap Négro, sur une superficie de plus de 10 hectares. Après la révolution, les atteintes qu'a subies cet environnement apparaissent au grand jour. Reportage. A une vingtaine de kilomètres de Sejnène, sur la route de Sidi Mechreg, la verdure s'étend à perte de vue. Des maquis de chênes-liège parfumés et giboyeux, abritant de belles orchidées et des plantes aromatiques, offrent aux vadrouilleurs le vrai goût du naturel. Une échappée belle dans les profondeurs d'un espace magnifique hors du temps moderne. A part quelques murs qui, sous l'effet de l'oubli, depuis les années de braise, semblent être sur le point de s'écrouler. Leurs habitants vivant en vase clos, sans eau potable sont, hélas, livrés à eux-mêmes. Seul ce port de Sidi Mechreg, à Cap Serrat, leur permet de se nourrir grâce à une mer turquoise et poissonneuse. Un gagne-pain au quotidien qui ne fait, en fait, que soulager, un tant soit peu, les maux sociaux de centaines de familles autochtones, sans pour autant satisfaire leurs besoins vitaux. Vivant à la merci des quantités de poissons qu'ils pêchent, au jour le jour, au moyen de petits chalutiers incapables même de naviguer plus de 30 mètres loin des côtes, ces paysans restent encore sur leur faim. Incrédules et réfractaires à tout concept écologique, ils ne font jamais confiance en cette nouvelle aire marine protégée dite Cap Négro-Cap Serrat dont Sidi Mechreg en fait également partie. A leur rencontre, samedi dernier, en marge d'une randonnée ciblée organisée par ledit WWF, ces pêcheurs ont refusé de nous parler. Leurs craintes de n'avoir plus accès à la mer les empêchent d'écouter l'autre son de cloche. Alors que le message que l'on vise à leur transmettre n'est autre qu'à les sensibiliser quant à la pêche légale et l'exploitation rationnelle de ces richesses maritimes, tout en prenant soin de l'environnement qui les entoure. Pas de mainmise sur le port Et pourtant toute la population locale campe sur sa position. Elle s'est montrée catégorique : pas d'intervention dans son milieu, pas de mainmise sur son port, sur sa source de revenu et de survie. Car, à l'en croire, une telle protection écologique signifie pour elle une sérieuse menace socioéconomique. «De quoi allons-nous faire vivre nos enfants? Arrêtez de nous marginaliser encore...», martèlent ces marins-pêcheurs, déclarant qu'ils vont se défendre bec et ongles pour que ce projet, déjà en gestation, ne voie pas le jour. Am Béchir, sexagénaire, en colère, le visage marqué par des rides des temps difficiles, proteste : «Je suis père de famille assez nombreuse, j'ai toujours travaillé ici et je n'ai jamais imaginé vivre loin de la mer.. ». D'ailleurs, ils sont tous du même avis. Bien qu'ils ne disposent pas de moyens et des embarcations à grande capacité, ces deux cents pêcheurs ou presque se contentent de quelques kilos d'espèces diverses de poissons par jour (daurade, rouget, mérault, chawri). Faute de transport et d'équipements frigorifiques, ils ne commercialisent leurs produits qu'à travers des intermédiaires qui viennent sauter sur l'occasion. Pêche au filet ou à la palangre, cette activité saisonnière est loin de subvenir aux besoins tout au long de l'année. C'est pourquoi, le recours aux chantiers forestiers reste de mise. Au bout de soixante dix jours de pêche au total, les habitants de Sidi Mechreg se trouvent, ainsi, contraints de chercher d'autres alternatives dont notamment le surpâturage et le déboisement anarchique. Autant d'activités abusives qui ont gagné du terrain au lendemain de la révolution. D'ailleurs, les forêts des chênes-lièges aux parfums de myrte et de romarin qui bordent le littoral de Cap Négro-Cap Serrat gardent des traces humaines de surexploitation et d'atteintes écologiques flagrantes. Là aussi, tout un trafic de bois a commencé à paraître, dans l'impunité totale. Les informations qui circulent à tort et à travers révèlent que certaines entreprises de bois à Ben Arous sont derrière ce spectacle désolant de déboisement sauvage. Où sont donc passés la Direction générale des forêts (DGF) et le ministère de l'Agriculture ? A qui incombe la responsabilité de cette situation ? Nizar, jeune technicien diplômé en pêche, natif de la région, reconnaît la nécessité impérieuse d'un certain changement pour la sauvegarde de l'environnement. Il s'est dit convaincu d'un tel projet de protection, d'une métamorphose socioéconomique réelle. Protéger la biodiversité D'après M. Sami Dhouib, coordinateur des projets auprès du WWF (Tunisie), il est urgent de faire de cette région une aire marine forcément protégée sur une superficie de 1.300 ha et qui sera gérée par l'Apal. Il y va de l'avenir de la population locale et des générations futures. L'objectif est de préserver la biodiversité et de rationaliser les systèmes de production dans cette localité aux perspectives écotouristiques prometteuses. Mais, Sidi Mechreg, aux dires de ses habitants dispersés aux alentours des côtes, ne cesse de souffrir le martyre. Une école en voie d'abandon dont les murs semblent être près de s'effondrer, avec des classes sans élèves et ni enseignants. Juste à côté, un dispensaire dans un état délabré, sans médicaments, ni personnel. Sauf un infirmier qui assure pour peu de temps une garde médicale et un médecin qui vient de loin, une fois par semaine, pour prescrire aux patients des médicaments déjà non disponibles ou leur délivrer des certificats d'admission dans d'autres hôpitaux à Sejnène ou à Bizerte. Et en dépit des appels adressés à maintes reprises aux responsables locaux et régionaux, la situation laisse encore à désirer. Leurs revendications consistent essentiellement à doter ces petits pêcheurs de nouveaux chalutiers longs de 40 mètres, pour leur permettre de franchir le cap. L'eau potable, l'amélioration du réseau de communication et la création de nouveaux postes d'emploi sont aussi des priorités vitales dans cette région enclavée. Zone de protection marine Empruntant la piste de retour, en longeant de grandes pépinières forestières touffues de chênes-lièges et de pins pignons, dorés au printemps, aux odeurs de plantes médicinales, le charme de la vadrouille nous a conduits jusqu'à l'embouchure de l'oued Zoueraâ à Nefza, décrété aussi zone de protection marine, où le WWF est intervenu pour fixer des jeunes pêcheurs sur les rives du barrage Sidi El Barrak. Une bande littorale de 8,5 km de linéaire côtier qui se distingue par la présence de dunes qui méritent d'être conservées. Raison pour laquelle une unité de gestion opérationnelle du projet est en cours d'installation, associant l'Apal, la DGF et le CRDA de Béja. Suivront au fur et à mesure des formations de sensibilisation et d'éducation à l'intention des habitants concernés, mais aussi au profit des écoliers de la région. Quatre ans durant, le WWF a mis le paquet pour parvenir à renforcer les capacités des personnels des départements institutionnels de la place et les aider à gérer ledit projet, avec une enveloppe de 700 mille dinars. Le défi est d'arriver à convaincre la population locale et de l'adapter à vivre avec, souligne M. Dhouib. Aire forestière protégée Tel sera également l'objectif pour les habitants des forêts de Cap Négro. Sur des falaises escarpées, une piste agricole impraticable serpente un couvert végétal dense, riche en faune et flore. Traversant des groupements d'habitants montagnards éparpillés, ici et là, la longue piste sinueuse se fait, ainsi, haute pour atteindre un point culminant servant de poste de vigilance et de contrôle des incendies qui donne sur Cap Négro. De là, une merveilleuse vue panoramique qui surplombe un vaste maquis verdoyant pittoresque. A perte de vue, sous les brouillards de l'horizon maritime, l'archipel de la Galite pointe à peine son nez, évoquant un iceberg montagneux ayant échappé à tout signe de vie. A mi-chemin, l'on s'arrête de temps à autre pour constater de visu des agressions contre la nature. Des arbres de chênes-lièges ont été abusivement démasclés pour en faire des piles d'écorces énormes non exploitables. Des déchets qui nuisent à la qualité de cet environnement propre. Et ces pratiques irresponsables mettent, encore une fois, la DGF devant ses responsabilités. D'où l'impératif d'intervenir pour faire de cette région une aire forestière protégée. Tout comme celle de Sidi Mechreg, la population locale implantée au sein des forêts a fait preuve de résistance. Les habitants des bourgs de « Dmaine », notamment ceux relevant de «Khorgali», «Bellif » et « Taberdga » ont haussé le ton pour protester contre tout projet de protection qui vise, selon eux, à réduire leurs activités quotidiennes, et à leur interdire au final de s'adonner à l'élevage, à la chasse au sanglier et d'autres chantiers forestiers. Alors que l'ancien code forestier permet à ces habitants concernés d'exercer leurs activités d'une manière rationnelle, sans porter atteinte à l'écosystème naturel. Mais, il interdit, à leurs dires, la chasse au sanglier qui représente, de même, une source de vie, tout en préservant leur bétail et leur culture contre les offensives de cet animal sauvage. Ils réclament la révision du cadre juridique qui régit toute activité forestière, afin de réconcilier l'homme avec la nature. Comme tout projet de valorisation des ressources naturelles, la sensibilisation de la population locale de la zone ciblée demeure la clé de voûte du développement durable. Un enjeu auquel le WWF ne compte pas renoncer. Il ne devrait surtout pas lâcher prise. Car le fait de convaincre écologiquement s'injecte à petites doses.