De notre envoyée spéciale à Cannes Samira DAMI C'est la plupart du temps sous une pluie battante que les festivaliers courent les salles, lors de ce 66e festival de Cannes. Huit films en lice pour la Palme d'or ont déjà été projetés sur les 21 sélectionnés dans la compétition officielle. Jusqu'ici deux films émergent du lot : Le passé de l'Iranien Ashgar Farhadi et Jimmy P. du Français Arnaud Desplechin, tandis que le très attendu Inside Llewyn Davis des frères Coen, qui met en scène la vie de bohème et les déambulations malheureuses d'un chanteur de folk dans l'univers musical de Greenwich Village des années 60, a franchement déçu notre attente tellement c'est désuet et répétitif, malgré la teinte humoristique qui particularise le film. Llewyn rappelle le personnage du dramaturge new-yorkais perdu dans l'univers hollywoodien mais à force de se répéter, de perdre en fraîcheur ça devient conventionnel. Focalisons-nous maintenant sur les films les plus étoilés de cette édition. Le passé de Farhadi est une continuation de Une séparation, son excellentissime film précédent (Ours d'or à Berlin et Oscar du meilleur film étranger) Les deux commencent par un divorce. Tourné en France parce que Ahmed (Ali Mossafa) arrive de Téhéran à Paris après quatre années de séparation, à la demande de Marie (Bérénice Bejo transformée) son épouse française, pour procéder aux formalités de leur divorce, car elle veut refaire sa vie avec l'homme qu'elle aime. Farhadi tisse, en observant et disséquant la nature humaine, un propos humaniste, philosophique voire. Toujours avec la même narration subtile, la même pureté et sobriété du langage cinématographique, devenu le label du cinéma iranien. Les trois personnages et le fils de Samir, en crise parce que sa mère a fait une tentative de suicide, vont se côtoyer, chacun avec son histoire, son passé, sa morale et sa vérité. Mais le doute subsiste, car la morale et la vérité sont relatives selon l'histoire vécue et la culture de chacun. Le doute, représentée par une scène finale floue, subsistera encore et toujours, nous dit Farhadi. Ainsi, quoique tourné en France, cet opus véhicule l'univers cinématographique du réalisateur, qui, tel le grand Bergman, sonde la nature et les sentiments humains, dans une dimension universelle. Jimmy P. est cet autre film humaniste, un hymne à la fraternité et à l'amitié poétiquement et passionnément réalisé. Jimmy Picard (Benicio Del Torro), un indien Blackfoot ayant combattu en France, est admis dans un hôpital au Texas, un établissement spécialisé dans les maladies du cerveau. Jimmy souffre de nombreux troubles : vertiges, cécité temporaire, perte d'audition...En l'absence de causes physiologiques, un diagnostic s'impose : schizophrénie. Mais la direction de l'hôpital décide de prendre l'avis d'un ethnologue et psychanalyste français, spécialiste des cultures amérindiennes, Georges Devereux (Mathieu Amalric). Le film s'inspire de Psychothérapie d'un indien des plaines, livre de G. Devereux qui décrit la fonction réparatrice de la parole sur les blessures de l'âme et cet indien traumatisé par la guerre, mais surtout la rencontre et l'amitié entre deux êtres complices. Dans un décor dénudé, les deux hommes vont traverser une aventure humaine où l'échange est roi, pour construire un terrain commun qui aboutira à la connaissance, par le Dr Devereux, de la culture indienne, entre usages et coutumes. Ce n'est qu'à cette condition qu'il pourra comprendre l'état mental personnel de Jimmy P. L'échange se fait entre les deux personnages, mais aussi entre deux grands acteurs, qui nouent une amitié dans un but de guérison. Réalité, traumatismes, pulsions, rêves, vie privée, histoire et culture s'entrecroisent pour tisser l'intensité du propos et de la forme, d'autant que Jimmy P. se veut également un hommage au genre western, et notamment à l'immense John Ford.