Manque à gagner en hausse et chute des navettes entre la Tunisie et Istanbul -Il fallait s'y attendre. Le bonheur des uns faisant le malheur des autres, la crise sociale qui secoue actuellement la Turquie, si elle a motivé les manifestants et donné des ailes aux opposants au régime, a, par contre, porté un mauvais coup non seulement aux commerçants et établissements touristiques du pays mais aussi à leur clientèle étrangère, dont le nombre de visiteurs de l'aveu même des médias locaux a sensiblement diminué au fur et à mesure de la poussée des manifestations anti-Erdogan. Les Tunisiens comptent justement parmi les victimes de cette agitation populaire qui ne cesse d'embraser les terres ottomanes. Le shopping... en deuil L'on sait, en effet, que les commerçants et autres mordus du business parmi les Tunisiens ont, durant la dernière décennie, fait de la ville d'Istanbul leur destination privilégiée qui a pris le dessus sur ses prédécesseurs d'antan qu'étaient le Caire (Egypte) et Tripoli (Libye). Il est vrai que cette capitale économique de la Turquie «ensorcelle» les accros du shopping en quête de marchandises de qualité et à bas prix qu'on ne peut trouver ailleurs. Bassem Ben Brahim, 38 ans, est un jeune commerçant résidant à l'Ariana qui en sait quelque chose. Lui qui a fait depuis dix ans de la métropole d'Istanbul son gagne-pain. «Avant le déclenchement des dernières manifestations au pays de Kamel Atatürk, se remémore-t-il, je visitais cette ville à six reprises au moins par an. C'est là où je me plaisais à faire mes emplettes en vêtements et en gadgets que je m'empressais à écouler dès mon retour au bercail. Oui, je gagnais bien ma vie, bien que je n'aie pas de licence d'importation». Et de déplorer, les yeux mi-clos : «Hélas, Erdogan en a voulu autrement... en réduisant ma personne et des centaines de mes semblables au chômage forcé». Habiba Ben Abdallah, 52 ans, domiciliée à Ben Arous et coiffeuse de son état, enfonce le clou. «Pour faire face, nous confie-t-elle, à la morosité dont ne cesse de souffrir le secteur de la coiffure en Tunisie, je me suis rabattue sur Istanbul où mes virées de shopping ne permettaient non seulement d'arrondir mes fins de mois, mais aussi de subvenir aisément à mes nombreuses charges (famille, voiture, cosmétique, tenues vestimentaires, etc.)», avant d'ajouter que «certes, je n'ai pas fait fortune, mais cette belle ville a été, franchement, pour beaucoup dans mon bonheur et ma stabilité familiale, surtout qu'on n'avait pas d'ennuis avec la douane, pour avoir toujours respecté les normes des quantités de produits importés. Aujourd'hui, j'ai dû annuler, à mon corps défendant, un énième voyage programmé à Istanbul. Imaginez alors le manque à gagner que j'ai accusé. Pourvu que la crise actuelle ne s'éternise pas en Turquie». Voir Istanbul et... mourir Cette «détresse» est, d'ailleurs, partagée par des centaines d'autres «victimes de marque» pour qui «se priver d'Istanbul, c'est un peu la mort lente». Tel est le cas de ce gérant d'une agence de voyages basée à Tunis, qui fait état, la mort dans l'âme, d'«une chute continue des réservations à destination de la Turquie», précisant à titre d'exemple que «durant la semaine allant du 31 mai au 7 juin, je n'ai enregistré que trois réservations, alors qu'on en comptait jusqu'à une centaine par semaine». Même son de cloche auprès d'un douanier à l'aéroport Tunis-Carthage, qui rapporte que «le flux des passagers tunisiens à destination d'Istanbul a connu, ces jours-ci, une incroyable dégringolade. Et ma foi, cela nous a permis de souffler un peu». N'empêche que nos habitués du «pèlerinage au pays du Bosphore» encaissent le coup, sans pour autant perdre espoir. L'espoir de voir le quartier féerique de Taksim réexhiber ses charmes magnétiques et... éponger leur manque à gagner. Espoir fou ? Tout dépendra d'Erdogan !