Après cinq jours de paralysie totale, l'activité au port de Radès a repris, hier après-midi, juste après la démission du Pdg de la Société tunisienne d'acconage et de manutention (Stam). Mais le mal est fait. C'est la grève la plus longue et forcément la plus désastreuse de l'histoire du port de Radès. Depuis dimanche dernier, les employés de la Stam ont revendiqué le départ du Pdg. Mais à quel prix ? Le bilan n'est pas encore définitif. Désormais, on compte 16 navires en rade et 7 navires à quai. Soit 6 mille conteneurs et 1.200 remorques (roro) destinées à l'approvisionnement des entreprises et des marchés. Et dans l'autre sens, des tonnes de marchandises destinées à l'export moisissent dans les entrepôts. En effet, tous les opérateurs économiques, Etat, producteurs et consommateurs, sont pris en otage. Pis, de ternes signaux sont envoyés à nos partenaires et investisseurs et qui risquent de faire tomber à l'eau tous les efforts menés pour donner une nouvelle image de la Tunisie. L'enjeu est d'une importance extrême : c'est la stabilité des marchés, la compétitivité des entreprises, l'attrait de la Tunisie pour l'investissement, le niveau des exportations et des importations... qui évoluent au rythme de Radès. Les entreprises ont été livrées à leur sort La cellule de crise mise en place depuis quelques jours à la centrale patronale pour débattre de l'issue de cette situation a lancé un cri de détresse. «C'est un suicide collectif», qualifie M. Adel Hmani, membre du bureau exécutif de l'Utica. «24 navires sont encore en rade ou à quai», martèle-t-il. 1.200 remorques, ajoute-t-il, sont destinées aux industriels dont plusieurs travaillent en flux tendu, avec zéro stock. «Ces entreprises ne supportent pas deux heures d'arrêt de travail. Que dire de quelques jours», ajoute-t-il. Ces retards se traduisent, immédiatement, par des surcoûts, notamment des pénalités et des surtaxations, ainsi qu'une perte des carnets de commandes, ultérieurement. «En 2011 et 2012, on a déboursé 960 millions d'euros de surtaxation», relève-t-il. Pour cette dernière grève, l'industriel rappelle que c'est la saison de l'exportation des fruits. «Six remorques frigorifiques d'abricots attendent encore», avance-t-il. Et comme c'est un produit périssable, sa commercialisation serait de plus en plus difficile au fil des jours. Outre les produits alimentaires, des médicaments qui nécessitent la levée immédiate, à cause de la rupture des stocks à la Pharmacie centrale, campent encore au port. La situation a duré cinq jours «Le problème est que la situation a duré quelques jours alors qu'on s'attendait à des décisions après quelques heures. Il n'aurait pas fallu attendre cinq jours», déplore-t-il. Dans la même lignée, l'Utica a publié, hier, un communiqué dans lequel elle accuse le gouvernement et le ministère du Transport de ne pas accorder de l'importance à ce sujet. Après cette grève, ce qui est plus grave, selon M. Hmani, est qu'il faudrait quelques mois pour reprendre le rythme de l'activité normale. «C'est inconcevable que 900 travailleurs bloquent les intérêts de 11 millions de Tunisiens», renchérit M. Karim Garnaoui, vice-président de la Conect. Les 18 conteneurs d'alimentation de poisson de sa ferme d'aquaculture sont bloqués en France et en Espagne. Des tonnes de poissons sont en péril. «Mais il n'y avait pas de causes plausibles pour cette grève sauvage», s'insurge l'homme d'affaires. Et d'ajouter : «On ne trouve pas à qui s'adresser». Pendant ces jours de grève, les entrepreneurs ont été livrés à leur sort. «Il a fallu intervenir pour assurer la reprise des activités portuaires. Même avec une intervention des militaires, le cas échéant», regrette-t-il. Représentant les employés en grève, M. Mohamed Daâboub, secrétaire général du syndicat de base des agents de la Stam, a rappelé qu'il s'agissait d'un mouvement spontané provoqué par une information véhiculée par une télévision de la place selon laquelle un opérateur privé serait chargé de gérer les deux nouveaux quais du port. Le syndicat, par la suite, a tenté d'apaiser la tension et de convaincre les employés de reprendre le travail, notamment après le démenti du ministère du Transport. Mais, les employés ont tenu bon pour leur deuxième revendication, le limogeage du Pdg. Certes, le mouvement des agents de la Stam avait pour objectif la protection de leur gagne-pain, mais est-ce qu'ils réalisent l'ampleur des conséquences de cette grève? Autrement, comment on en est arrivé là? Ou bien, faut-il en arriver là pour saisir l'ampleur de l'activité du port de Radès, surtout sa cadence? Et si toutes les victimes de cette grève portaient plainte pour le dédommagement des préjudices?