«Il n'y a pas photo, c'est un coup d'Etat militaire qu'il faut dénoncer avec force » « Ils maudissent la démocratie à chaque fois qu'elle porte des islamistes au pouvoir », voilà ce qu'on pouvait lire sur une des pancartes levées très haut par les quelques milliers de manifestants (ils étaient 2.500 selon la police) qui se sont rassemblés hier à l'avenue Habib-Bourguiba, à l'appel du parti Ennahdha, dérivé des Frères musulmans égyptiens. Au-delà d'un simple slogan, il s'agit d'un profond sentiment d'injustice partagé par ces hommes et ces femmes, islamistes dans leur grande majorité. Bien que la manifestation soit « officiellement » consacrée au soutien à la légitimité du président Morsi, il n'en demeure pas moins vrai que les partisans du parti islamiste, réunis dans cette chaleur épaisse, regardent ce qui se déroule dans le pays des Pharaons comme un « cauchemar » qu'ils ne souhaiteraient pas vivre en Tunisie. En témoignent les appels répétés des foules présentes en faveur de l'adoption de la loi dite « d'immunisation de la révolution », seule à même, selon certains, de prévenir ce genre de choses. « Au-delà de l'Egypte et ma sympathie envers le mouvement des Frères musulmans, j'ai peur qu'on assassine l'expérience démocratique dans le monde arabe, j'ai peur qu'on revienne à la case départ, une case qui signifie anarchie totale... Vous allez me dire que Morsi a fait des erreurs, bien sûr qu'il en a fait, et c'est normal, il n'y a que dans une dictature qu'on ne commet pas d'erreurs », nous dit Ridha, 45 ans, sympathisant du parti Ennahdha. « La défense de la légitimité est un devoir religieux », pouvait-on lire sur une banderole tenue par de jeunes militants du bureau d'Ennahdha de Sidi Bouzid lors de cette manifestation où les gens confondent sans timidité la défense de la légitimité électorale et l'appel au rassemblement en communauté religieuse. D'ailleurs, l'animateur de la manifestation, du haut de la tribune et d'une voix magnifique, en appelle « à tous ceux qui ont fait leurs ablutions » pour qu'ils crient davantage leur soutien à Morsi, « un cri capable d'atteindre la place Rabaâ Adaouia en Egypte ». Le geste bien rodé, les organisateurs distribuent des photos à l'effigie du président renversé et quelques pancartes d'insultes à l'encontre du général Al-Sissi, l'accusant d'être à la solde des sionistes. « Entre Essebsi et Al-Sissi, nous de sommes pas sortis de l'auberge», fait remarquer une quinquagénaire ayant répondu à l'appel malgré la chaleur suffocante de ce mois de juillet, en plus du jeûne. «Morsi n'a pas trouvé d'appui» Au milieu de gigantesques drapeaux tunisiens et égyptiens mais également salafistes, nous retrouvons Fawz, 42 ans, militante d'Ennahdha, qui semble émue et inquiète pour l'avenir. Pour elle, tous les maux de la nation arabe viennent de « Jamel Abdennasser » (ex-président égyptien, connu pour être hostile aux Frères musulmans) qui est mort en « laissant ses sbires qui considèrent le peuple comme ennemi » (allusion faite au nouvel homme fort de l'Egypte, Abdelfattah Al-Sissi). « Morsi n'a pas trouvé d'appui, les communistes lui ont mis les bâtons dans les roues et la conspiration a commencé dès l'annonce des condamnations à mort dans l'affaire du drame du match d'Al-Ahly-Al-Masri», dit-elle avec tristesse. La foule, relativement importante, s'est emparée de la rue, ce qui a quelque peu gêné la circulation (quelques accrochages entre des voitures ont eu lieu). Ceux qui, parmi les piétons ou les automobilistes, ont osé râler ont été accueillis par les habituelles « formules de politesse » qui ont fusé, même en ce mois saint où, dit-on, on ne jeûne pas uniquement en s'abstenant de manger. Le sentiment d'injustice peut-il à lui seul expliquer cette colère et cette agressivité parfois gratuite ? En tout cas, nous ne la retrouvons pas chez le docteur Mohamed Ben Nejma, adossé à un tronc d'arbre à l'abri du soleil. Lui qui se présente comme militant islamiste de la première heure et qui a été « victime de Abdallah Kallel » évoque calmement la situation en Egypte, tout en excluant la possibilité d'un scénario semblable en Tunisie, en raison du « dialogue qui n'a jamais été rompu entre les forces politiques du pays ». « Pour l'Egypte, il n'y a pas photo, c'est un coup d'Etat militaire qu'il faut dénoncer avec force », explique-t-il. Ils étaient donc plus de 2.000 manifestants islamistes qui ont bravé la chaleur de l'été, venus soutenir le président Morsi, mais il s'agissait aussi et surtout d'une démonstration de force et un clin d'œil à destination de ceux qui, en Tunisie ,espèrent renverser «leur légitimité ».