Pour avoir suivi de près l'évolution de sa carrière, pour l'avoir côtoyé depuis qu'il était jeune et pour avoir assisté à l'éclosion de son pur et extraordinaire talent, nous ne craignions pour lui que son attachement excessif à son père —son idole, son ami et son maître—, surtout après que ce dernier eut cessé d'être de ce monde. Un attachement cimenté par une nature sensible, sincère, émotive et loyale. Ce dont nous ne doutions pas, c'est que ce sentiment (en fait, louable tant qu'il n'est pas exagéré) l'entraînerait à une absence de discernement et à une automutilation. Car Zied Gharsa —c'est de lui qu'il s'agit— s'est automutilé, avant-hier à Carthage. A vouloir rendre l'hommage qui se doit à Tahar Gharsa, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort, et à trop désirer mettre généreusement ses invités en exergue à son détriment, Zied Gharsa a oublié que le public est venu l'écouter, lui, et pas les autres. Il a également perdu de vue le rythme et l'équilibre de la répartition des morceaux tout au long du concert. Il s'est surtout laissé dominer par ses émotions, en permettant qu'une chanson de Moncef Abla à la limite de la décence, paroles, musique et interprétation, soit présentée rien que parce qu'elle fait la louange du père. Et puis, à quoi rimait la montée sur scène de Am Kaddour Jeziri, le compagnon et le cithariste attitré de Tahar Gharsa, pour chanter des airs qui n'ont rien à voir avec le répertoire du disparu? Un ratage, oui. Des temps morts et une désorganisation manifeste, certainement. Mais à la décharge de Zied, sa loyauté filiale, sa générosité, son altruisme et, peut-être, son inconscience que tout père accepte de fait d'être «tué» (n'est-ce pas Freud?) par ses enfants, pour qu'ils trouvent leur voie propre. Tahar Gharsa aurait été mille fois plus heureux si Zied lui avait offert, avant-hier, un échantillon de son produit bien à lui qui l'assurerait que son fils peut, désormais, avancer sans se sentir obligé de s'appuyer sur son épaule. Zied Gharsa se doit (espérons-le) de comprendre que ce ne serait pas là une trahison de la mémoire de son père, mais le meilleur hommage qu'il peut lui rendre.