La situation est gravissime. L'autorité est ébranlée. Les ingrédients de la banqueroute politique menacent le gouvernement. L'Assemblée constituante n'est pas en reste. Partout, c'est le blocage. Encore une fois, un défaut d'appréciation initial finit par envenimer la donne. Ali Laârayedh, ses conseillers, son cercle rapproché n'ont pas saisi l'ampleur du cataclysme provoqué par l'assassinat du constituant et dirigeant du Front populaire, Mohamed Brahmi. Puis survinrent l'attentat à la bombe de La Goulette et le guet-apens tendu aux soldats au Jebel Chaâmbi. L'absence prompte de la sortie de crise a eu un effet pervers. Celui de confiner le gouvernement dans un attentisme ravageur. Alimenté il est vrai par des discours contreproductifs et des approches alambiquées. Entre-temps, l'activisme et les protestations se sont amplifiés. Nourris par l'impuissante colère face au rouleau compresseur terroriste doublé de l'aveuglement, voire du laxisme gouvernemental à son endroit. Ceux qui ont perpétré le lâche forfait du Jebel Chaâmbi n'ont guère fait dans la dentelle. Ils ont fait montre d'une cruauté inouïe et délibérée. Leur message est sinistrement clair. Ils veulent désormais terroriser l'armée et les forces de sécurité intérieure. Exécuter froidement des soldats puis les égorger et les mutiler procède d'une démarche démentielle. La réponse de l'autorité est fragmentée. Tel est le cas depuis cette brutale irruption de la crise politico-sécuritaire qui secoue notre place politique. Les trois présidents (de la République, du gouvernement et de l'assemblée) ont réagi séparément. Cela traduit les frictions internes de la Troïka, qui se partage les hautes charges de l'Etat, ainsi que l'esseulement de chaque protagoniste. La réponse du berger à la bergère en somme. Ajoutons-y la multiplicité des positionnements des différentes formations politiques, pouvoir et opposition compris. Les agendas partisans l'emportent. Ils sont nombreux autour des partis, très peu autour de la patrie serait-on tenté de dire. Cette crise remet sur le tapis deux donnes fondamentales. D'un côté, l'émergence d'une partitocratie qui vicie les règles du jeu politique. De l'autre, de graves manquements sécuritaires qui minent la paix sociale. La sécurité, justement. On parle d'infiltrations, de grenouillage, d'instrumentalisation des forces de sécurité intérieure et du ministère de l'Intérieur. Il est même question de réseaux parallèles inféodés au parti gouvernemental, Ennahdha. Certains en parlent volontiers, citent des noms, révèlent des organigrammes, mettent au jour les ramifications de la pieuvre. Les déclarations du ministre de l'Intérieur, hier à Express fm, sont fracassantes. Le premier responsable de la sécurité des Tunisiens est amer. Il n'y est pas allé avec le dos de la cuillère. Désormais, il faut faire avec l'hydre terroriste. Des informations concordantes escomptent le pire. Ce n'est pas encore la psychose de l'attentat mais on y est presque. Le fait que les terroristes aient emporté les uniformes, les armes, munitions et moyens de transmission des soldats froidement tués autorise de craindre le pire. Idem de la graduation dans le modus operandi terroriste. On est passé ainsi des assassinats ciblés aux perspectives des attentats aveugles à la voiture piégée dans les villes. En passant par l'attentat à la bombe et les maquis montagnards. Et ce n'est pas fini. L'absence de l'union sacrée tant requise constitue le terreau privilégié des ravages réels et psychologiques du terrorisme. Les incuries des timoniers à la barre d'esquifs à la dérive est, entre autres, en cause. Assurément, les temps sont durs et les perspectives sombres.