Le ministère de l'Intérieur s'enfonce dans le déni alors qu'on continue de demander aux jeunes de plus de 18 ans une autorisation parentale ou celle du conjoint avant de quitter le territoire La dernière fois qu'un incident à l'aéroport de Tunis-Carthage fortement médiatisé et ayant trait aux libertés fondamentales des femmes s'est produit, c'était en avril 2013. Un agent de contrôle avait alors demandé à une femme d'affaires, Sana Fathallah Ghénima, si son mari était «d'accord et consentant» pour qu'elle parte pour la Libye. A son retour, Ghénima a déposé une plainte à la police des frontières, et l'affaire s'est soldée par des excuses officielles et des mesures disciplinaires à l'encontre de l'agent concerné. Depuis, plusieurs autres témoignages similaires ont circulé sur Internet. Le 26 août, Mounir Khaled Jeddi avait refusé de signer une autorisation de sortie à ses deux filles majeures sur le point de partir en France. Cette affaire a été relayée et a fini par relancer le débat sur le droit des femmes de plus de 18 ans à voyager librement sans autorisation d'aucune sorte. «Je suis au courant de cette histoire et je peux vous dire que ce n'est pas un cas isolé. Récemment, un agent de contrôle a demandé une autorisation de sortie à ma fille de 18 ans qui partait pour Paris, accompagnée d'un ami du même âge et de son oncle. Ce dernier a convaincu l'agent de la laisser passer. Quant au garçon, il n'a pu partir qu'après avoir appelé son père, qui a discuté avec l'agent au téléphone», témoigne Sana Fathallah Ghénima. D'autres témoignages appuient le fait que des agents peuvent demander à des femmes majeures une autorisation de sortie à l'aéroport : «C'était le 15 juillet dernier, je devais partir en Turquie. À l'aéroport, on m'a dit que les filles de moins de 35 ans devaient avoir une autorisation des parents ou du conjoint. En lisant sur mon passeport mon statut d'étudiante, l'agent de la douane m'a dit : tu es étudiante, tu ne partiras pas ! Je lui ai demandé ce que je devais faire, on m'a répondu qu'il fallait appeler les parents. J'ai alors téléphoné à mon père pour qu'il vienne signer l'autorisation. Ce n'est qu'après sa venue qu'on m'a laissée partir», témoigne Nour Kaâbi, 23 ans. Quelques semaines plus tôt, un jeune homme, cette fois, a été interrogé à l'aéroport avant son départ : «C'était au mois de mai, on m'a demandé d'attendre jusqu'à ce qu'on fasse une vérification avec les responsables de la police. J'avais un travail à Amman, je devais transiter par Istanbul. Le responsable est venu, il a vérifié mes papiers et m'a posé des questions. A la fin, quand il a vu que je travaillais pour une institution internationale, il m'a laissé partir», affirme Saddam Jebali, 22 ans. Il apparaît, donc, qu'à des jeunes personnes, filles ou garçons, on peut demander une autorisation parentale/ du conjoint ou faire des vérifications avant de les laisser partir pour un autre pays. Silence radio des autorités Contacté par La Presse la semaine dernière, Mohamed Ali Aroui, porte-parole du ministère de l'Intérieur, a affirmé que «ce qu'on raconte sur les autorisations de sortie pour les femmes de moins de 35 ans sont des mensonges ou des rumeurs. Il n'y a pas de restriction pour les femmes, tant qu'elles ont un passeport en règle». Le 3 septembre, sur la page facebook officielle du ministère de l'Intérieur, un démenti en arabe a été publié, concernant les «rumeurs selon lesquelles il y aurait des procédures aux frontières empêchant les femmes de moins de 35 ans de quitter le territoire». A l'aéroport de Tunis-Carthage, les agents de la police des frontières refusent de parler et vous renvoient au porte-parole du ministère de l'Intérieur. Aucune explication n'est donnée au sujet des jeunes de plus de 18 ans auxquels on continue de demander une autorisation parentale à l'aéroport avant de quitter le territoire. Excès de zèle de certains agents à l'aéroport? Manque d'organisation ou de communication au sein de la police des frontières? Face à ce problème, l'association «Egalité Parité» a très vite réagi pour étudier la possibilité d'intenter une action en justice. «J'ai lancé un appel pour vérifier si cette histoire d'autorisation à l'aéroport est une intox ou une info et pour recueillir des témoignages, explique Faïza Zouaoui Skandrani, présidente de l'association. J'en ai reçu plusieurs, sur ma page facebook et aussi par mail. J'ai contacté Bochra Belhaj Hmida pour lui demander ce qu'on devait faire. On attend d'avoir plus d'informations pour réagir». Contactée par La Presse, Bochra Belhaj Hmida affirme avoir rencontré le ministre de l'Intérieur, lundi : «Il a expliqué que ces mesures à l'encontre des jeunes sont là uniquement pour s'assurer qu'ils n'iront pas combattre en Syrie. Il (ndlr le ministre) sait que c'est illégal. C'est vrai que les droits humains sont bafoués, mais en face il y a un problème très important qui est la lutte contre le terrorisme. (...) Le ministre a promis qu'il allait faire le maximum pour que ça se passe mieux». Entre-temps, l'avocate assure que les personnes ayant eu des problèmes à l'aéroport peuvent protester et faire annuler la décision de quitter le territoire.