Une grève générale de deuil a croisé aujourd'hui les funérailles de deux « héros » de la ville. La colère continue à bouillonner au pays de Bouazizi A l'appel de la section régionale de l'Ugtt le mercredi 23 octobre, une grève générale de deuil a été décrétée hier à Sidi Bouzid. La région, berceau de la révolution du 17 décembre 2010-14 janvier 2011, paye le plus lourd tribut des affrontements qui se sont déroulés l'après-midi du 23 octobre entre des jihadistes armés et des agents de la Garde nationale à Sidi Ali Ben Aoun, à 40 km du chef-lieu. Sur les six hommes tombés avant-hier, trois sont originaires du pays de Bouazizi : Anis Salhi, Mohamed Marzouki et Tahar Chebbi. S'étant rassemblés devant le siège de la centrale syndicale dès 9h00 du matin, des hommes, des femmes et même des enfants de tous âges avaient afflué des délégations voisines et des divers quartiers. « Les hommes retenaient mal leurs larmes. La douleur et la colère étaient perceptibles dans les mots et sur les visages de la population», affirme Rachid Fetini, directeur du Centre d'affaires de la ville. 7.000 personnes investissent l'artère centrale Une marche démarre à 10h00. Elle sillonnera l'avenue Mohamed-Bouazizi, l'artère principale porte depuis deux ans le nom du premier martyr de la révolution tunisienne, ce jeune vendeur ambulant immolé par le feu le 17 décembre 2010. Vers 11h00, la manifestation rythmée par les slogans de soutien aux forces de sécurité, contre le parti Ennahdha et ses deux leaders Ghannouchi et Laârayedh et criant totale fidélité aux martyrs (« Avec mon sang, avec mon âme, je me sacrifierai pour toi, ô martyr ») croise les obsèques du caporal Anis Salhi. Les deux processions font corps. Attia Athmouni, syndicaliste et militant des droits de l'Homme, a assisté à la mobilisation générale de la population. Il nous livre son témoignage : « C'est à ce moment-là, à 11h00, que la foule grossit et s'amplifie pour se prolonger sur près de 500 m et atteindre au moins 7000 personnes. Un cordon de sécurité a été aménagé par les jeunes de Sidi Bouzid pour garantir la dimension pacifique de la manifestation. Sous les youyous des femmes, la marche endeuillée prendra la direction du cimetière situé dans le quartier d'Ouled Belhedi. J'ai senti une ville sous pression, une ambiance qui m'a rappelé l'étincelle du 17 décembre ». Mohamed Marzouki gît à côté de Mohamed Bouazizi Anis Salhi, 35 ans, laisse une veuve et trois enfants, dont un bébé de 15 jours. A quelques kilomètres de là, au minuscule cimetière Sidi Salah à Groo Ben Nour et au même moment, d'autres funérailles se déroulaient dans le même recueillement. On enterrait le caporal Mohamed Marzouki à quelques mètres de la tombe de...Mohamed Bouazizi ! Certes si aujourd'hui les funérailles d'Anis Salhi n'ont vu la participation d'aucune personnalité politique nationale, la colère contre les « politiciens de Tunis » de tous bords et les critiques par rapport au discours « provocateur » d'Ali Laârayedh du mercredi soir et au Dialogue national ont agité les conversations de ce bastion anti-islamiste. Sidi Bouzid avait créé la surprise du 23 octobre 2011 en votant massivement au profit des représentants de la mystérieuse Pétition populaire dirigée par Hechmi Hamdi, le directeur de la chaîne satellitaire Al Mustakellah. Mahmoud Ghozlani, syndicaliste et professeur au lycée de la ville, explique : « On s'étonne que l'opposition tende encore la main au mouvement Ennahdha, celui-là qui est responsable de la mort de nos héros face à des terroristes qu'on a protégés et laissés essaimé dans tout le pays ». Sidi Ali Ben Aoun, lieu du drame d'avant-hier, est depuis la révolution cité de non-droit, selon divers témoignages. Le prédicateur salafiste jihadiste, Al Khatib Al Idrissi, y règne en maître absolu. Y compris dans l'organisation du jihad vers la Syrie...Une partie de la population, dont quelques-uns de ses jeunes ont participé aux évènements terroristes de Soliman en 2008, semble acquise aux thèses extrémistes. Jamais encore dans ce gouvernorat du centre ouest, conservateur, pauvre et oublié du développement, les femmes n'avaient pris autant d'audace en investissant le cimetière de la ville. Encore sous le choc, la société bouzidienne semble en perte de ses codes et repères.