Dans l'attente du rapport du médecin légiste, Radhia Nasraoui, présidente de l'Organisation de lutte contre la torture, impute l'usage de la torture à l'impunité des agents de police et à l'absence de réformes L'affaire Walid Denguir continue à faire des vagues. Les médias et les réseaux sociaux se sont focalisés sur «la mort suspecte» du jeune homme durant son interrogatoire au poste de police de Sidi El Béchir. Arrêté le vendredi 1er novembre «pour trafic de drogue et association de malfaiteurs», Walid Denguir, la trentaine, est décédé durant la nuit de vendredi à samedi. Il aurait, selon sa famille, «subi des violences ayant entraîné sa mort lors de son interrogatoire». Ce que la police nie, prétendant que «le prévenu est mort des suites d'une crise cardiaque». Mais l'avocate Radhia Nasraoui, par ailleurs présidente de l'Organisation de lutte contre la torture, réfute cette version de la police, certifiant qu'«il existe de fortes présomptions de torture ayant causé la mort de Walid Denguir». Ainsi, les versions divergent et chacun campe sur ses positions : d'un côté, la famille et les organisations de défense des droits de l'Homme, entre autres Human Rights Watch - section Tunisie - et de l'autre, la police. Justement, Chokri Hamada, porte-parole du Syndicat national des forces de sécurité intérieure, que nous avons touché pour en savoir plus, est catégorique : «Qui vous dit qu'il y a eu torture ? Personne ne peut l'affirmer, ni déterminer les causes du décès de Walid Denguir avant les conclusions de l'autopsie. Entre nous et les plaignants, il y aura le rapport médical du médecin légiste. C'est sur cette base qu'on déterminera les circonstances du décès. Maintenant, la famille du défunt et Me Radhia Nasroui peuvent dire ce qu'elles veulent, nous autres attendons le rapport avant de prendre position; n'ayez crainte, chacun aura son droit». Des traces visibles De son côté, la présidente de l'Organisation de lutte contre la torture est catégorique : «Nous avons vu le corps et nous avons pris des photos avant l'inhumation. Les clichés sont clairs : plusieurs parties du corps portent des traces de violence, à la tête, au visage, au dos, aux genoux, aux poignets et aux pieds. Des traces de sang sur le nez, la bouche et les oreilles supposent que Walid Denguir a été victime d'une hémorragie cérébrale due à des coups violents à la tête. Les traces de menottes aux poignets et aux pieds laissent également supposer qu'il a été victime de torture dans la position appelée «rôti». Comment Radhia Nasraoui explique-t-elle ces violences ? «Laissez-moi vous dire d'abord que la brigade de police judiciaire du poste de Sidi El Béchir est connue, selon les riverains, pour son utilisation exagérée de la violence, entre tirs de coups de feu, mise à tabac, etc. Or, l'usage de la violence et de la torture est un crime et est interdit par la loi. Certes, nous attendons le rapport du médecin légiste, mais s'il ne correspond pas à la réalité des faits, nous demanderons une autre autopsie. J'explique également l'usage récurrent de la violence extrême par l'impunité des agents de police. Or, tant que les auteurs de ces violences ne sont pas sanctionnés, la torture se poursuivra dans les postes de police». Impunité et absence de réforme Comment, enfin, expliquer que l'impunité perdure ? Radhia Nasraoui, également avocate de la famille, prévient : «Rien ne justifie le recours à la torture, que le prévenu soit un malfaiteur, un trafiquant ou un terroriste. C'est pourquoi la loi doit être appliquée et la justice doit prendre ses responsabilités en ouvrant en toute indépendance et sérieusement les dossiers relevant de la torture qui lui ont été soumis par l'Organisation de lutte contre la torture. L'absence de réforme au sein de la police judiciaire constitue également l'une des causes de la pérennité de la torture. La présence de l'avocat lors de l'interrogatoire des détenus est nécessaire, voire obligatoire, et il faut légiférer dans ce sens. Que l'Assemblée nationale constituante ait entériné le projet de loi organique portant création du comité national de prévention de la torture, voilà qui est bien. Que ce projet de loi ait abrogé le principe de prescription des crimes de torture, les rendant «imprescribtibles, c'est encore mieux. Mais faudrait-il encore que l'application suive, que tout crime de torture soit sanctionné et que ses auteurs ne jouissent guère de l'impunité totale». Bref, l'affaire Walid Denguir rappellerait, s'il s'agit d'abus policier, celle de Abderraouf Khamassi, la quarantaine, décédé le 8 septembre 2012, et suite à laquelle «quatre agents de police ont été inculpés d'homicide volontaire avec préméditation aux termes des articles 201 et 202 du Code pénal tunisien». Voilà qui montre que la torture, malgré les textes de loi et la révolution, a la peau dure et sévit encore dans nos murs. Rappelons que le ministère de l'Intérieur a indiqué qu'une enquête judiciaire et administrative a été ouverte afin de déterminer les circonstances de la mort de Walid Denguir. Wait and see.