«Jamais je n'aurais imaginé qu'un gouvernement postrévolutionnaire puisse ne pas respecter une décision de justice, en l'occurrence celle du Tribunal administratif», s'indigne Kalthoum Kannou La présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), Kalthoum Kannou, a déclaré à l'occasion d'un séminaire sur «Le rôle du pouvoir judiciaire en temps de crise : les cas de la Libye et de la Tunisie», que «malgré les efforts entrepris pour améliorer l'image de la justice, celle-ci demeure dans une phase critique. La volonté politique est absente pour conduire une réelle réforme de la magistrature. Pire, il y a une tendance à ressusciter les pratiques de l'ancien régime». « Les maux de la justice tunisienne sont multiples, je citerai notamment la réforme qui n'a pas été menée à terme, le manque de formation des juges qui siègent dans des procès d'un type nouveau et, surtout, la pression de la rue, du pouvoir public ainsi que les menaces que ne cessent de subir les magistrats dans leur quotidien », martèle encore Kalthoum Kannou, qui ajoute n'avoir « jamais imaginé qu'un gouvernement postrévolutionnaire puisse ne pas respecter une décision de justice, en l'occurrence celle du Tribunal administratif ». Le séminaire, organisé conjointement par la Commission internationale des juristes (CIJ), l'AMT et l'Organisation des juges libyens et qui se poursuit aujourd'hui, a voulu aussi s'intéresser à ce voisin libyen dont on connaît peu de choses, surtout sur le fonctionnement de sa justice dans un climat tendu et même très violent. Le jeune magistrat, président de l'Organisation des juges libyens, Marwan Tashani, a évoqué dans son intervention ce quotidien pas toujours rose de la magistrature libyenne, une réalité « couronnée » par la déclaration du ministre de la Justice libyen qui aurait annoncé, selon Tashani, que la vie des juges est menacée tous les jours, mais le ministère ne peut absolument rien faire pour eux. « Le système judiciaire connaît plusieurs problèmes et un nombre important d'aberrations. Je citerai à titre d'exemple les réformes parachutées, sans aucune concertation, ou encore les décisions de justice qui sont tout simplement renvoyées aux calendes grecques, faute de mécanismes permettant leur mise en application. D'autre part, la justice libyenne souffre d'une sous-représentation des femmes, aggravée par la croisade menée par un avocat qui cherche à empêcher la femme, en vertu de la loi, d'accéder à la fonction de juge », énumère le magistrat libyen. De son côté, le magistrat honoraire de la Cour espagnole et commissaire au sein de la CIJ, Jose Antonio Martin Pallin, a déclaré que « la différence fondamentale entre la Tunisie et la Libye réside dans le fait que la première, contrairement au pays voisin, compte des institutions solides au sein de l'Etat ». Interrogé sur la justice transitionnelle, ce magistrat retraité a estimé que « pendant une transition vers la démocratie, il est possible de procéder à des allégements des peines sur des dossiers liés à la corruption, mais qu'aucun compromis ou amnistie ne doivent être admis en faveur des responsables de crimes de sang ou de crimes contre l'humanité ». Malgré des similitudes, le contexte libyen semble être différent de celui de la Tunisie. Finalement, comme le rappelle l'intervention de Jose Antonio Martin Pallin, à chaque pays sa transition. Il ne peut y avoir un modèle «prêt-à-porter».