Par Azza FILALI L'enquête, menée et diffusée par l'organisme «Human Rights Watch», a servi de détonateur. La situation vécue par des citoyens placés en garde à vue aux centres de Bouchoucha, Nabeul, Monastir et Sfax, souffre encore d'anomalies inacceptables : des conditions de séjour rudimentaires et humiliantes, un niveau d'hygiène des plus élémentaires et surtout la pratique persistante d'agressions voire d'actes de torture à l'égard de personnes encore en instance de condamnation et qui, de ce fait, sont présumées innocentes jusqu'à preuve de leur implication. L'enquête menée par «Human Rights Watch», en attirant l'attention des médias et de la société civile sur la désastreuse situation des centres de garde à vue, a été salutaire. Dans la continuation de cette enquête, la Ligue tunisienne des droits de l'homme vient d'annoncer qu'elle comptait entreprendre, entre le 15 et le 30 décembre, la visite systématique de tous les centres de détention à travers le territoire. Il est certain que du fait de la visibilité, désormais accordée à ces lieux, les conditions de séjour et les mauvais traitements infligés ne peuvent que changer. En mieux. Depuis le 14 janvier 2011, des voix se sont déjà élevées pour dénoncer la persistance de la torture dans les prisons et les centres de garde à vue. Malheureusement, les victimes continuent de tomber : le 2 novembre dernier, Walid Denguir, 32 ans, suspecté de transporter de la drogue, est décédé après les actes de brutalité effectués à son encontre par les agents du commissariat de Sidi El Béchir. Avant lui, le 8 septembre 2012, Abderraouf Khammassi, a été torturé à mort au siège de la brigade de police judiciaire de Sidi Hassine, à Sijoumi. Le problème de la torture est très ancien; longtemps il a cheminé en silence, avec autour des centres de garde à vue ou des prisons, des citoyens qui se doutaient, savaient à moitié ou ignoraient et continuaient de vivre leur vie, alors qu'à quelques centaines de mètres d'eux, d'autres étaient battus, humiliés, voire torturés de la pire manière. Puis, avec la libre circulation de l'information, l'opinion publique semble se réveiller lentement et la situation carcérale tout comme celle des centres de garde à vue, prise en charge par la société civile, est désormais le problème de tous. Toutefois, la dénonciation de ce «problème» par les associations ou les médias ne semble pas suffisante pour l'éradiquer. C'est que de telles pratiques remontent à un demi-siècle et ont, elles-mêmes, succédé à la torture qu'exerçaient les Français sur des citoyens tunisiens révoltés par l'oppression coloniale. Ces pratiques, quasi ancestrales, renvoient à la même énigme : comment un agent des forces de l'ordre peut-il battre sauvagement un de ses concitoyens, puis, à l'occasion d'un changement de consignes, partir défendre d'autres concitoyens, dans un quartier chaud, ou à l'intérieur du pays ? Comment un même homme peut-il avoir des comportements aussi contraires ? Il faut croire qu'en matière de brutalité, comme en toutes choses, les êtres acquièrent des automatismes; dans ce cadre précis, la violence exercée est autorisée par la loi, c'est une violence pour laquelle celui qui la commet n'est pas puni, pas même réprimandé, il est juste considéré comme accomplissant son devoir, c'est un «agent dans l'exercice de ses fonctions». Et cet exercice de la violence ne l'empêche pas d'avoir bonne réputation parmi ses pairs; dans la même journée, il violente un suspect de la pire façon, puis va prendre un café avec ses collègues et rentre chez lui, le soir, retrouver une vie familiale des plus convenues. Chaque être est une mosaïque de contraires et chacun s'accommode de ses contradictions comme il peut, parfois en les occultant de sa conscience, ou en se cachant derrière d'obscures «nécessités de service». Mais les actes de barbarie, commis à l'égard de détenus, qu'ils soient suspects ou coupables, sont inacceptables. Ces actes, jusque-là «semi-ignorés» et tus par les différentes parties, sont désormais sous les feux des projecteurs; il faut croire que même l'horreur a besoin d'une maturation pour être combattue. Le temps est venu de lutter par tous les moyens contre les violences exercées dans les centres de détention. Lutter jusqu'à ce que les automatismes cèdent; pour cela, la meilleure manière consiste à les montrer au grand jour et à en faire un problème sans cesse soulevé et dénoncé par l'opinion publique.