Présenté au Théâtre Le Mondial, Avalanche... ou le corps à travers cette coulée d'idéologies et de phénomènes socioculturels qui ont submergé la société tunisienne depuis 2011 Avant tout jugement ponctuel sur tel ou tel spectacle de Imed Jemaâ, c'est l'idée même de vouloir promouvoir la danse contemporaine en Tunisie qu'il faut saluer pour son audace, sa fraîcheur et l'étincelle qu'elle allume dans la curiosité des spectateurs, qu'ils soient engagés ou enragés, ou simples curieux. Et particulièrement aujourd'hui, là où la culture devrait être le moyen par lequel on communique tous et on remédie aux effets secondaires de la Révolution. Imed Jemaâ, ce chorégraphe bien connu dans le domaine de la danse contemporaine et fondateur du Centre chorégraphique méditerranéen, conteur d'histoire aux univers subtilement soignés, aux esthétiques des gestes et des mouvements bien étudiés, vient de produire son premier spectacle de l'après- révolution intitulé Avalanche, avec l'aide du ministère de la Culture (2013), et qu'on a pu découvrir mercredi dernier au Théâtre Le Mondial. L'avalanche dans ce travail n'a rien à voir avec les catastrophes neigeuses. L'idée est purement symbolique et il est question, en fait, de cette coulée d'idéologies et de phénomènes socioculturels qui ont submergé la société tunisienne depuis 2011. Sur le parquet, dans un décor des plus minimalistes, une jeune danseuse, blouson de cuir en haut et tutu noir en bas, patine la scène avec ses patins à roulettes tournant autour d'un corps qui se trémousse par terre au gré de multiples univers sonores. Une sorte de douce monotonie qu'on pourrait reprocher à cette première partie... Puis, heureusement, l'action s'accélère, se dramatise, et l'ensemble des danseurs, y compris Imed Jemaâ, redonnent de l'énergie à une attention légèrement engourdie. Dès lors, s'enchaînent, comme une marée noire, les tableaux évocateurs d'un état général de désarroi et de confusion. Soutenus par une forme musicale qui se révèle comme une sorte de contrepied et de miroir à la fois. Les neuf danseurs, à savoir Marwen Errouche, Karim Touwayma, Mariem Bou Ajaja, Wael Mergheni, Mohamed Cheniti, Wafa Thebti, Imed Jemaâ, Badis Achech et Emna Mowalhi ondulent, puis tournoient, se cherchent, s'enfuient, partent dans tous les sens. Parfois, ils sautent en un perpétuel mouvement. Le corps, allongé à même le sol, reprendra cette position plusieurs fois encore, comme si sa seule issue était d'attendre — par terre — paisiblement la mort, alors qu'un autre danseur le serre dans ses bras, le redresse comme pour le ramener à la vie. D'autres se répètent et démultiplient leurs gestes à l'infini, dans l'attente désespérée d'une délivrance, d'un possible bien-être. La violence est également mise en scène à travers la ronde infernale de corps molestés, rudoyés et tourmentés. Les corps des jeunes danseurs ont offert une vérité qu'on pourrait qualifier de paradoxale, puisqu'il ne s'agit pas d'applaudir des corps assujettis à une logique d'ordre, mais de mettre en exergue ce qui donne sens dans le spectacle : rendre visible l'invisible et, plus encore, le traiter et l'analyser.