Par Soufiane BEN FARHAT La décision était attendue. Avant-hier, le Président américain Barack Obama a révoqué son chef militaire en Afghanistan, le général Stanley McChrystal. Il l'a remplacé par le général David Petraeus, jusque-là commandant des forces américaines en Irak et en Afghanistan. Motif du limogeage: le général Stanley McChrystal a tenu, dans le magazine Rolling Stone, des propos désobligeants sur l'exécutif. McChrystal a notamment surnommé le vice-président Joe Biden "Bite Me", ("va te faire voir" en anglais). Il l'a jugé en flagrant "manque de perspicacité". Le conseiller à la sécurité nationale est, quant à lui, qualifié de "clown". Des diplomates américains et alliés en prennent pour leurs frais. McChrystal va plus loin. Il affirme au journaliste qu'il a été déçu à l'issue de sa première rencontre avec le Président Obama. Il l'a jugé "intimidé" par la présence de militaires et pas très investi dans la conduite de la guerre. Le général McChrystal a jugé "pénible" le temps qu'a pris Obama l'automne dernier pour approuver l'envoi de renforts en Afghanistan. Rolling Stone comporte également des commentaires au vitriol des adjoints de McChrystal sur l'administration US. En vérité, le général s'est excusé, depuis, pour ses propos. Il faut savoir que McChrystal avait été soigneusement choisi par le Président Obama pour diriger les forces en Afghanistan. Précisément pour son expertise de spécialiste de la guerre anti-insurrectionnelle. Il y a quelques mois, il avait réclamé à cor et à cri la réévaluation de la stratégie américaine en Afghanistan. Le télégramme alarmiste concernant la situation sur le terrain, et demandant l'envoi de troupes supplémentaires, avait fait l'objet d'une étrange fuite dans les médias. Dès lors, ses derniers propos ont constitué la goutte qui a fait déborder le vase. Ils ont été perçus par l'administration Obama comme un poignard dans le dos. Les faits sont graves. Cela conduit à se demander sur le non-dit de la guerre en Afghanistan. Visiblement, les choses empirent d'une manière inouïe. Et l'issue de crise n'est guère pour sitôt, malgré les 140.000 soldats de l'Otan (dont 100.000 soldats US) engagés contre l'insurrection talibane. Cela rappelle un peu l'offensive du Têt, la campagne militaire menée en 1968 par les forces populaires vietnamiennes contre les forces américaines et la République-croupion du Viêt Nam. Malgré les pertes subies, le général Giap avait mis en œuvre sa guerre dite synthétique. L'offensive tendait en effet à démentir les déclarations américaines selon lesquelles la situation s'améliorait. Le 31 janvier, 80.000 soldats communistes attaquèrent plus de 100 villes à travers le pays. L'offensive choqua l'opinion américaine, croyant fermement jusque-là que les Nord-Vietnamiens étaient incapables d'une telle attaque d'envergure. Des membres influents de l'administration de Lyndon Johnson se sont même retournés contre la guerre. Le ver était dans le fruit, affectant tant l'opinion que l'administration US. L'issue de la guerre fut dès lors tracée irrémédiablement. Aujourd'hui, les talibans semblent diviser l'administration américaine au plus haut niveau. Ce n'est pas seulement l'autorité d'Obama — chef suprême des forces armées — qui est remise en cause. Le sacro-saint concept américain du contrôle civil sur l'armée est lui aussi battu en brèche. Le général Stanley McChrystal et ses adjoints clament tout haut ce que beaucoup d'autres murmurent tout bas. A les en croire, il serait temps de renverser la vapeur. En temps de guerre, sur le terrain des opérations afghanes, la tête ce sont les militaires et les jambes les civils calfeutrés dans leurs douillets fauteuils à des milliers de kilomètres sur la côte Est américaine. Le Président afghan Hamid Karzaï et ses adjoints y souscrivent volontiers. Toutefois, malgré la promptitude de l'administration américaine à contrer le général Stanley McChrystal, le problème demeure posé. En priorité, tout porte à croire que le général David Petraeus s'attachera à faire le ménage pour épurer au sommet l'état-major américain en Afghanistan. Les effets pervers d'une telle action ne sont pas à exclure. S'il s'avise de laisser les choses traîner, la crise au sommet perdurera. C'est dire que toutes les combinaisons sont vicieuses. Et que, dans tous les cas de figure, les talibans ont, eux aussi, leur offensive du Têt.