Après le livre de poche des droits de l'Homme réservé à l'ensemble de l'appareil sécuritaire, c'est au tour des agents des centres de détention préventive de se doter d'un guide de bonnes pratiques Les conditions de traitement dans les centres de détention préventive de Tunisie ont fait l'objet d'un projet présenté, hier, par le ministère de l'Intérieur en collaboration avec le Comité international de la Croix-Rouge (Cicr) lors d'une deuxième journée d'étude à Tunis. Durant cette journée placée sous le thème «L'amélioration des conditions de traitement des personnes durant la période de garde à vue», l'équipe du projet a présenté un brouillon de bonnes pratiques à l'intention des agents des centres de garde à vue. La copie finale sera finalisée dans les ateliers et les tables rondes de cet événement. Une coopération internationale tous azimuts Mme Aïcha Kort, directrice de la coopération internationale auprès du ministère de l'Intérieur, a rappelé que ce projet de réforme des structures de la détention préventive s'inscrit dans le cadre des programmes de partenariat internationaux du ministère de l'Intérieur tunisien. Concernant le thème de la garde à vue, Mme Kort a rappelé les efforts du ministère pour améliorer le rendement de l'appareil sécuritaire, et ce, dans le respect des principes des droits de l'Homme. Ces efforts, selon elle, se sont traduits par l'édition, récemment, d'un guide des droits de l'Homme à l'intention des forces de l'ordre : un ouvrage financé par le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme en Tunisie (Hcdh) et qui se propose comme étant une référence pour les sécuritaires lors de l'exercice de leur mission. Rappelons que ce livre de poche, comme l'a signalé le ministre de l'Intérieur, M. Lotfi Ben Jeddou, «l'éclaire l'agent de sécurité sur le comportement à adopter dans les centres de détention et le sensibilise quant au respect de la loi et des principes des droits de l'Homme ». Des propos confirmés par le délégué régional du Cicr à Tunis, M. Markus Brudermann, qui a souligné que les conditions de détention des personnes, depuis le moment de l'arrestation jusqu'à la comparution devant un juge, fait partie du domaine de l'expertise qu'a pu développer son organisation depuis plusieurs années. «Nos interactions avec les autorités (locales) compétentes se font toujours sur la base d'un accord strict de dialogue conventionnaire... En Tunisie, avec les changements qu'a connus le pays, on se réjouit du développement d'une deuxième voie qui ne se limite plus à nos activités traditionnelles, mais d'assister et de supporter les efforts des autorités tunisiennes pour réformer l'appareil sécuritaire suivant des référentiels internationaux», a-t-il déclaré. A peu près 850 agents formés et 3.000 autres en route De son côté, M. Sabri Mabrouki, chef du projet, a présenté l'avancée des travaux de son équipe et le plan d'action 2014/2015 ainsi que les réalisations concernant le volet des affaires juridiques. Dans une déclaration à La Presse, il a, d'ailleurs, apporté les précisions suivantes : « Ce projet qui s'articule autour de six chapitres, a débuté en mai 2013. Le premier chapitre vise à améliorer le comportement de l'agent de sécurité à partir de l'arrestation jusqu'à la fin de la période de garde à vue. Le deuxième concerne le volet juridique qui encadre la période de détention préventive, surtout le problème de prolongation de la garde à vue ainsi que les procédures légales durant les interrogatoires. Le troisième est celui de la formation et de la sensibilisation. Ce chapitre a touché jusqu'à maintenant à peu près 850 agents et cadres et cette phase va aussi toucher 3.000 autres agents lors de la session prévue au mois d'avril prochain». Pour ce qui est des trois derniers chapitres de ce projet, le projet ambitionne de mettre des structures pour encourager la spécialisation dans ce domaine, améliorer l'infrastructure dans les centres de détention et les conditions de travail des agents et renforcer la surveillance externe et interne de ces lieux de détention préventive. Plusieurs représentants de la société civile tunisienne étaient présents, hier, pour ce programme de réforme fruit du partenariat MI-Cicr. Concernant les conditions de traitement des personnes durant la période de garde à vue, Mme Raoudha Karafi, présidente de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), déclare qu'après des années de dictature, la Tunisie a hérité d'un lourd fardeau en matière d'atteintes aux droits de l'Homme en milieu carcéral, surtout durant la détention préventive. « Il s'agit d'un système qui se base essentiellement à maltraiter les détenus pour leur arracher des aveux », a-t-elle mentionné. Toute une logistique à mettre en place Toujours selon Mme Karafi, pour mener un interrogatoire en bonne et due forme, il faudrait mettre à la disposition des agents et des cadres des centres de détention toute une logistique et investir dans les outils scientifiques (détecteurs de mensonges, etc.) pour éviter tout recours à la violence et la torture. «Les crimes de torture et de maltraitance des personnes en détention préventive ont toujours été considérées comme un sujet tabou. Par exemple, au niveau des institutions judiciaires tunisiennes, il n'y a pas de classification pour ce genre d'affaires. Par contre, dans d'autres pays, on peut trouver des chambres juridiques spécialisées dans les affaires de torture et de maltraitance de détenus», renchérit-elle. De son côté, Mme Amna Guellali, représentante de Human Rights Watch en Tunisie, nous a déclaré : «Il est important de saluer les efforts entrepris par le ministère de l'Intérieur et par les organisations internationales qui œuvrent ensemble pour offrir un nouveau cadre pour la période de garde à vue. Mais maintenant, il faut vraiment agir de manière rapide pour qu'il y ait plus de garanties essentielles pour protéger les personnes en détention préventive». Elle conclut : «Aujourd'hui, le cadre législatif tunisien présente plusieurs lacunes telles que la présence d'un avocat durant la période de grade à vue et l'obligation de passer la personne arrêtée à l'examen médical. Cette procédure permet de vérifier si elle a subi ou non un mauvais traitement ou des actes de torture. Il y a aussi l'interface avec le ministère de la Justice en tant que garant des droits de l'Homme à travers le contrôle des procureurs des durées de ces périodes de détention provisoire».