Un film autobiographique, une évocation de l'enfance, mais une vision du passé qui croise celle de la société... Premier film et premier long métrage documentaire, le projet de Bahram Aloui, Le visage de dieu, se place dans un registre inédit et ouvre une nouvelle brèche dans la mouvance documentaire qui fleurit sous nos cieux et ne cesse de nous bouleverser par sa liberté créative et la sensibilité de son propos. Ceux qui connaissent Bahram Aloui savent qu'il est doté d'une plume des plus poétiques. Ils savent aussi qu'il n'est pas réalisateur de film, que c'est un acteur doué et qu'il ne cesse d'évoluer. Ils savent aussi qu'il est, tout comme beaucoup de sa génération et dans son milieu artistique, tenté par de nouvelles expériences créatives. Mais, en regardant son film, Le visage de dieu, on découvre une facette obscure que beaucoup ne connaissent pas et que son regard vif laisse transparaître en de rares moments. Si nous sommes à la recherche d'un film qui raconte une réalité, nous fait découvrir des vérités cachées, on n'est pas à la bonne adresse. Car Le visage de dieu de Bahram Aloui est un film documentaire très particulier : il ne montre pas la réalité, mais la réalité des sentiments. C'est un exercice de style qui ne place pas son auteur en tant que faiseur d'images mais en tant que médiateur d'émotions. Le film est un moratoire, une lettre ouverte à soi et aux autres, une évocation d'un passé et un rappel du présent. Une sorte de journal intime écrit en arabe littéraire, que la voix de Bahram porte à l'écran avec justesse. Et, sur cette voix off — celle de l'auteur — on retrouve les images d'une Tunisie oubliée, meurtrie, la vie quotidienne d'une famille dans une zone d'ombre qui cherche du regard la lumière qui jaillit d'un poste de télé et qui y ramène le monde avec ses mensonges. Le film est autobiographique mais, loin d'être narcissique, il raconte une enfance entre dessins animés et images véhiculées d'une vie politique qui se résume aux baignades quotidiennes d'un leader patriarche en fin de règne. Il nous fait revivre avec lui les mêmes souvenirs des visites inopinées d'un nouveau chef d'Etat dans les zones reculées et qui n'a donné que de faux espoirs aux damnés de la terre. On ressent avec lui la déchirure d'une mère qui fait ses adieux à un fils tant chéri, qui quitte les hauteurs montagneuses pour rejoindre la ville. Le visage de dieu continue sur la même lancée. Bahram se raconte et raconte ses rencontres de fortune, les beuveries avec les amis, les blessures secrètes des artistes, les âmes et la conscience de la ville. Déchéances pour certains, délires créatifs pour d'autres... Les dernières 50 années ont asséché les âmes et trahi les esprits. Un film bouleversant de sincérité : on y retient les visages plus que les discours, on se laisse entraîner par la lecture du texte — la voix off — et on ne se sent pas nargué par les propos personnels du réalisateur-auteur, puisqu'il a bien su mener le récit de sa vision personnelle pour la croiser avec celle d'une société et d'un groupe.