Quoi de plus émouvant et de plus palpitant pour les cinéastes que de jeter un regard dans le rétroviseur pour apercevoir leur passé lointain, du temps où leurs cheveux étaient tous noirs, où leurs amis étaient tous en vie et où ils faisaient du cinéma amateur. Quoi de plus important pour les jeunes du secteur que de se réconcilier avec leurs aînés en découvrant, à travers Images saccadées, à quel point ces derniers ont milité contre le mensonge, la soumission et le culte de la personnalité. Quoi de plus étonnant pour le spectateur que de savoir que le cinéma n'engendre pas uniquement le divertissement et que celui de son pays, contrairement à ce qu'on dit, a une identité. Quoi de plus rassurant pour le critique que de se dire que, désormais, il a une mission, celle de raviver la flamme d'autrefois et de continuer à soutenir la Ftca. Ces sentiments étaient présents, mardi dernier, lors de la projection de presse du fameux documentaire de Habib Mestiri qui a mis longtemps avant de voir le jour à cause d'une aide à la finition qui a tardé à venir. Les Images saccadées produites par le réalisateur lui-même et Multi Media 200 raconte l'histoire de la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs depuis l'aube des années 60, lorsqu'elle s'appelait encore l'Association des jeunes cinéastes tunisiens. Le film commence bien. Très bien même. C'est l'un des pionniers, le réalisateur Ahmed Harzallah qui, marchant dans les rues de Tunis, nous invite au voyage. L'image en couleurs vire au noir et blanc. C'est la fiction. Il pleut sur la ville et il pleut dans nos cœurs. La magie du cinéma opère. La voix de la soprano Alya Sellami, accompagnée par une musique de Kais Sellami, nous transporte dans un monde qui ressemble fort à l'enfance perdue, et sans cesse recherchée. Tout comme ce cinéma si plein d'atmosphère et de sens que l'on ne retrouve plus dans nos salles, lesquelles d'ailleurs n'existent plus. Cela se voit, l'équipe d'Images saccadées était au meilleur de sa forme. Elle a su recomposer le puzzle d'un passé qu'on a voulu effacer. Les archives, le son, les images, le montage et les témoignages suivent un fil conducteur à double face : l'histoire d'une fédération dans l'une, et l'histoire d'un pays dans l'autre. Habib Mestiri le dit si bien dans sa note d'intention : "Le cinéma amateur ne s'est pas limité à donner au pays ces cinéastes et techniciens de l'image, il a tenté pendant des décennies d'exprimer les sentiments profonds de la société tunisienne avec audace et liberté". Le réalisateur, pas très connu par monsieur tout le monde, sait de quoi il parle. Il a été lui-même membre de la Ftca, au club de La Chabba (Mahdia). C'est là qu'il réalise son premier court métrage, Le retour du pêcheur. Il participe activement à l'organisation du Fifak (Festival international du film de Kélibia) et, aprés être passé par une expérience de journalisme culturel, il assiste quelques réalisateurs tunisiens et étrangers, puis part en Italie pour faire partie de l'équipe fondatrice de la première chaîne du cinéma arabe Al Oula à Orbit Network. Son travail en tant que réalisateur-producteur lui vaut plusieurs prix et distinctions internationales. En 2007, il quitte le Network pour travailler en free lance et réalise plusieurs documentaires pour le compte de la chaîne qatarie Al-jazira. En 2008, il renoue avec le cinéma tunisien avec El makkirama, un court métrage documentaire sur le peintre Hatim Elmekki, puis réalise un autre documentaire du genre historique intitulé De Carthage à Matmata. En 2009, il signe en Italie, en tant qu'auteur, deux docu-fictions : Le cercle magique et Le retour du marin. Habib Mestiri est membre depuis 2008 de l'Association italienne des documentaristes. Il est également consultant en communication et évènementiel pour Mode et Design auprès d'organismes européens. Etonnant CV. On ne le savait pas si polyvalent et si ancré dans le milieu de l'audiovisuel. Tout ce qu'on sait, c'est que l'auteur d'Images saccadées a assez d'humilité pour reconnaître que son nouveau film gagnerait à être plus serré au niveau de la durée et que des informations manquent. Certaines images d'archives ne sont pas identifiées. On a envie que tous ces jeunes qui veulent tuer le père lui donnent d'abord un nom.