Le projet de loi n°44 portant création de tribunaux spécialisés pour juger les meurtriers des martyrs de la révolution et les auteurs d'exactions sur les blessés sera examiné aujourd'hui en commission et dès demain en plénière Les réactions des députés aux verdicts de la Cour d'appel militaire ont monopolisé, hier matin, la séance plénière de l'Assemblée nationale constituante qui devait être consacrée initialement à l'examen, article par article, du projet de loi sur l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois. Les interventions des députés ont tourné quasiment au procès de la justice militaire, taxée de complaisance envers les figures de l'institution sécuritaire poursuivies pour leur responsabilité dans les évènements sanglants de la révolution. Convoqué peu auparavant pour une réunion d'urgence, le bureau de l'Assemblée avait décidé qu'une partie de la séance plénière soit consacrée à la discussion des verdicts prononcés samedi soir dans les affaires des martyrs et blessés de la révolution. Le président de l'ANC, Mustapha Ben Jaâfar, l'a annoncé lui-même, indiquant que l'Assemblée constituante se fera un devoir d'assurer le suivi de cette affaire qu'il a qualifiée de «prioritaire». Il a annoncé que, jusque-là en instance au niveau de la commission de législation générale, le projet de loi portant création de chambres judiciaires compétentes dans les affaires des martyrs et blessés de la révolution sera examiné en séance plénière «d'ici une semaine». Dans leurs interventions, lors de la séance hier matin, les députés se sont dit «choqués» par les verdicts, mettant en garde contre leur impact négatif sur le sort de la révolution et celui de la transition démocratique. Ils ont, également, demandé que des juridictions spécialisés assurent l'examen des affaires des martyrs et blessés de la révolution, dans le cadre de la justice transitionnelle. Première à prendre la parole à la séance plénière, la députée et présidente de la commission des martyrs et blessés de la révolution, Yamina Zoghlami, trouve que les verdicts rendus par la Cour d'appel militaire sont «choquants quoique attendus». Il n'y a qu'à voir, a-t-elle expliqué, comment les caciques de l'ancien régime ont été remis en liberté les uns après les autres sans qu'ils aient présenté des excuses au peuple ni même assumé leur responsabilité politique et morale. Yamina Zoghlami a appelé l'Assemblée constituante à assumer ses responsabilités et les partis à «se constituer en front uni face à la contre-révolution. Le député Walid Bannani (Ennahdha) s'est dit, lui aussi, «sous le choc», mettant en garde contre «les conséquences très graves que ces verdicts pourraient avoir pour le processus révolutionnaire» et demandant que les prévenus impliqués dans les affaires des martyrs et blessés de la révolution soient rejugés. De son côté, le député Mouldi Riahi (Ettakatol) a demandé à l'Assemblée, «en tant que gardienne de la révolution», de «se déterminer d'une manière claire et décisive par rapport à ces verdicts». Entre indépendance et intéférence Pour Ahmed Néjib Chebbi (Al-Joumhouri), poser le problème des verdicts «ne signifie en rien interférer dans les affaires judiciaires», s'interrogeant sur la question de savoir «si, au cours des trois dernières années et demie, nous avons vécu une révolution ou une illusion de révolution et si nous connaissons aujourd'hui ceux qui nous avaient réprimés et violé nos droits». Le député Amor Chétoui (CPR) a estimé de son côté que «la requalification des chefs d'inculpation par la justice militaire n'a aucune justification juridique» et que «la justice se considère encore libre de toute obligation de se justifier». Le député Chokri Kastalli (Alliance démocratique) a demandé quant à lui à l'Assemblée constituante de dessaisir la justice militaire des dossiers des martyrs et blessés de la révolution non encore tranchés et de les confier à la justice civile, en attendant la mise en place de la commission Vérité et dignité. Il a, également, préconisé l'ouverture d'un «registre de présentation des excuses» à l'usage des figures de l'ancien régime. Le député Anouar Marzouki (groupe de la Transtiion démocratique) trouve que les verdicts rendus par la Cour d'appel militaire «n'ont rien à voir avec la gravité des faits enregistrés au cours de la révolution», réclamant le réexamen de l'affaire. Haythem Ben Belgacem (CPR) qualifie d'inconstitutionnels les verdicts en question dans la mesure où, dit-il, «la Constitution prescrit le devoir de fidélité au sang des martyrs». La députée du groupe démocratique Fatma Gharbi a reproché aux gouvernements qui se sont succédé depuis la révolution leur lenteur à traiter le dossier des martyrs et blessés de la révolution, en particulier le dossier de la justice transitionnelle. Le débat a repris, l'après-midi, en raison du nombre élevé de députés à avoir demandé à prendre la parole. Examen du projet de loi n°44 accéléré La commission de législation générale de l'Assemblée nationale constituante a été, officiellement, saisie du projet de loi N° 44 portant création de tribunaux spécialisés pour juger les meurtriers des martyrs de la révolution et les auteurs d'exactions sur ses blessés. Le même texte met un terme aux poursuites engagées contre les participants aux évènements de la révolution. La présidente de la commission des martyrs et blessés de la révolution qui l'a annoncé, hier, aux médias a indiqué que le projet de loi sera examiné en commission, dès aujourd'hui, et en séance plénière dès demain, mercredi. Yamina Zoghlami s'exprimait lors d'une conférence de presse au Palais du Bardo à la suite de la polémique autour des verdicts rendus, samedi, par la Cour d'appel militaire, à l'encontre des responsables sécuritaires impliqués dans les dossiers des martyrs et blessés de la révolution. Elle a assuré qu'elle-même et les autres membres de sa commission avaient l'intention de démissionner en cas de refus du bureau de l'Assemblée d'enclencher la procédure d'adoption de cette loi. Elle a, également, appelé à mettre en place au plus vite la commission Vérité et dignité et à mettre en application la loi sur la justice transitionnelle «pour le réexamen de toutes les affaires pour lesquelles un verdict définitif avait été rendu», selon ses propres termes.