La polémique bat son plein entre ceux qui prônent la dissolution de l'ANC et ceux qui s'y opposent. Seulement, il n'y a qu'une Constitution qu'il est impératif de respecter Le compte à rebours pour que l'Assemblée nationale constituante (ANC) prenne la décision de plier bagage a-t-il été déclenché ? La question s'impose aujourd'hui d'autant plus que plusieurs observateurs ainsi qu'une large partie des membres de la Constituante estiment que cette dernière a parachevé la mission pour laquelle elle a été élue. A la suite de l'adoption de la Constitution et de sa promulgation, de l'élaboration de la loi électorale devant être promulguée dans les prochains jours et de la mise en place, bientôt, de l'Instance vérité et dignité, ceux qui soutiennent que l'ANC n'a plus de raison d'être appellent les constituants à avoir «le courage, l'audace et l'honnêteté de dissoudre l'ANC et de libérer les Tunisiens d'un fardeau qu'ils ne peuvent plus supporter». Le parti Al Massar a déjà sauté le pas et son porte-parole, le constituant Samir Taïeb, a annoncé, hier, dans une conférence de presse que son parti exige que les constituants préparent leurs valises pour partir dans la mesure où leur mission est terminée. Reste à savoir comment les autres partis politiques réagiront à l'appel d'Al Massar et à se poser une autre question non moins importante : Quel sera le sort réservé à la présidence de la République au cas où la revendication d'Al Massar aboutirait ? Qu'en est-il également sur le plan constitutionnel ? Exiger que l'ANC ferme ses portes avant le déroulement des prochaines élections n'est-il pas en contradiction avec ce que prévoit la Constitution, notamment dans l'article 148 (dispositions transitoires). Y a-t-il d'autres formules qui pourraient préserver l'actuelle ANC tout en révisant ou en réduisant les compétences qui lui sont attribuées ? Autant de questions que La Presse a posées à certains acteurs du paysage politique national dont la plupart soutiennent l'initiative d'Al Massar, tout en y ajoutant leurs propres propositions. L'ANC, une arène de surenchères Pour Abdelaziz Kotti, constituant de Nida Tounès, les choses sont claires : «L'ANC a parachevé sa mission avec l'adoption de la Constitution et de la loi électorale. Quant à l'élection du conseil de direction de l'Instance Vérité et dignité, ce n'est plus qu'une affaire de jours. Malheureusement, la constituante est devenue aujourd'hui une arène de surenchères politiques et de pillage des deniers publics sans aucun contrôle où les constituants donnent, par leurs comportements inadmissibles, une piètre image de l'élite politique nationale. Pire encore, avec la faiblesse manifeste de son président Mustapha Ben Jaâfar, l'ANC est tombée sous la coupe d'Ennahdha et des petites formations considérées comme ses appendices». A la question de savoir comment le gouvernement Jomâa va-t-il exercer ses fonctions au cas où l'ANC serait dissoute, le constituant nidaiste pense que «le Dialogue national peut exercer la mission de contrôle de l'action gouvernementale et que le gouvernement peut exercer à travers les décrets-lois comme à l'époque du gouvernement Essebsi». Abdelaziz Kotti appelle également à la démission du président provisoire de la République Moncef Marzouki. «Il est une priorité absolue : Marzouki doit être écarté du palais de Carthage le plus tôt possible et il faut l'empêcher, à tout prix, de mener sa campagne électorale aux frais des contribuables», conclut-il. Donner un nouveau souffle «L'ANC n'a plus de raison d'exister et les constituants sont appelés à prendre la décision de dissoudre eux-mêmes la Constituante qui est devenue un véritable fardeau pour le peuple, surtout sur le plan financier. Et c'est bien dans le cadre du Dialogue national que cette question devrait être débattue sérieusement afin de dégager une solution de rechange à l'actuelle ANC. La commission de soutien et d'accompagnement issue du Dialogue national pourrait assurer le contrôle de l'action gouvernementale. En tout état de cause, il est urgent de donner un nouveau souffle au pays», précise Naceur Brahmi, constituant indépendant. Le président provisoire Moncef Marzouki n'échappe pas, pour sa part, aux critiques du constituant. Il est convaincu que son «maintien au palais de Carthage n'est plus d'aucun intérêt pour le peuple tunisien. Il se consacre à sa campagne électorale aux dépens des finances de l'Etat». Un parlement de gestion des affaires courantes Abderrazak Hammami, secrétaire général du Parti du travail patriotique démocratique, préfère traiter la question «avec le réalisme qu'impose la situation politique actuelle». «Il est compréhensible qu'on appelle à la cessation des activités de l'ANC qui semble avoir parachevé sa mission constituante et de mise sur pied des instances chargées de piloter les élections. Seulement, on oublie que l'ANC assure également la mission de légiférer. Avec la formation du gouvernement Jomâa et l'instauration de la légitimité consensuelle, l'ANC est censée adopter les consensus auxquels parviennent les participants au Dialogue national. On pourrait dire que l'ANC doit devenir un parlement de gestion des affaires courantes, loin des pratiques anciennes où l'opposition croisait le fer avec la majorité», souligne-t-il. L'avis juridique «La revendication relative à la dissolution de l'ANC sous le prétexte qu'elle a achevé sa mission est une revendication tardive. Il fallait que cette revendication soit exprimée avant l'adoption et la promulgation de la Constitution. Avancer une telle revendication, aujourd'hui, constitue une violation pure et simple de l'article 148 de la Constitution (dispositions transitoires). L'article en question stipule, en effet, que l'ANC poursuive sa mission jusqu'à l'élection de l'Assemblée des députés du peuple», argumente Jawher Ben M'barek, professeur de droit constitutionnel et coordinateur du réseau «Doustourna». «La Constitution est claire. Toutes les autorités sont dans l'obligation de la respecter. Je comprends la revendication de dissoudre l'ANC. Au plan politique, c'est une revendication légitime, mais elle n'est pas légale».