Les spécialistes des groupes terroristes appellent à une refonte totale de l'approche sécuritaire. Les constituants cherchent à empêcher légalement les jeunes jihadistes de se rendre en Libye ou en Syrie «Les intentions des terroristes sont désormais claires. En s'attaquant aux symboles de l'Etat et en déplaçant leurs attaques des montagnes vers la ville, leur message peut se résumer en une seule phrase: Nul ne nous échappera. La saison touristique est désormais compromise et tout ce qu'a fait Amel Karboul est tombé à l'eau. Pire encore, les bailleurs de fonds qui promettent monts et merveilles à Mehdi Jomâa vont réviser leur politique dans la mesure où la Tunisie va être classée inéluctablement parmi les pays à haut risque sécuritaire». Noureddine Neïfar, universitaire, spécialisé en questions géostratégiques, n'y va pas par quatre chemins pour évaluer les conséquences qui découleront de l'opération terroriste qui a visé le domicile du ministre de l'Intérieur Lotfi Ben Jeddou, situé à la cité populaire Ezzouhour à Kasserine. «L'enjeu est d'une importance capitale: c'est la sécurité économique et financière qui est aujourd'hui en danger réel. Ils veulent ramener l'Etat à un Etat sans ressources. Et partant de ce constat, l'on doit saisir que les grandes menaces imposent qu'on recoure aux grands moyens. Le pôle antiterroriste promis par Mehdi Jomâa, à la conception duquel les spécialistes n'ont pas été associés en dépit de leur disposition à offrir leur expertise au gouvernement, n'est plus suffisant pour venir à bout de l'hydre terroriste. Malheureusement, les calculs de certaines parties cherchant à reporter indéfiniment les élections sont toujours d'actualité. Ma crainte est réelle quant à voir les élections tant attendues reléguées aux oubliettes puisque dans le climat de terreur imposé par les terroristes, l'opération électorale va être biaisée à la base. Faut-il rappeler que les élections sont fondées essentiellement sur le consentement éclairé des électeurs qui auront à choisir librement entre les programmes des différents partis politiques aspirant à leur confiance et à leurs voix. Aujourd'hui, ce débat public n'est plus possible en l'absence de sécurité», précise encore notre interlocuteur. En conclusion, Noureddine Neïfar appelle à «une révision de fond de la politique sécuritaire» et se demande : «Le gouvernement a-t-il les moyens de consacrer un budget supplémentaire au ministère de l'Intérieur?». Il tient à souligner que «c'est bien le sursaut des habitants de la Cité Ezzouhour qui a empêché les terroristes de terminer leur lâche besogne et les a obligés à fuir». Cependant, il se pose deux questions. «D'abord, qui protège ces mêmes terroristes parmi les citoyens de la région au point de leur permettre d'investir un quartier populaire où tout le monde connaît tout le monde ? Ensuite, qui les informe des moindres déplacements des gardes qui assurent la protection du domicile du ministre de l'Intérieur ?». Et les jihadistes de retour de Syrie ? L'attaque terroriste de la Cité Ezzouhour à Kasserine a-t-elle des ramifications avec la situation prévalant à l'heure actuelle en Libye ? Naceur Hani, expert en terrorisme et responsable de la Fondation Al Majd pour les études stratégiques, estime que «c'est un avertissement au gouvernement Jomâa contre toute intervention dans le dossier libyen». «Leurs actes commis en Tunisie ont pour objectif d'atténuer la pression que les jihadistes subissent en Libye», ajoute-t-il. Reste la grande inconnue relative aux jihadistes tunisiens de retour de Syrie. Personne pour le moment n'est édifié ni sur leur nombre réel ni sur les plans qu'ils préparent pour reprendre du service sur le sol national. Le ministère de l'Intérieur se contente de déclarer qu'ils sont sous surveillance policière. En parallèle, plusieurs parmi ces éléments arrêtés, à leur retour, ont été acquittés par la justice bien qu'ils aient avoué leur appartenance au Front Annosra ou à l'Armée libre, sous le prétexte que ces deux formations ne sont pas considérées comme des organisations terroristes. Du côté de l'Assemblée nationale constituante, on cherche à mettre en œuvre une loi qui empêcherait les jeunes de se déplacer en Syrie et en Libye. Il reste que cette loi, si jamais elle est adoptée, ne doit pas porter atteinte à l'un des droits fondamentaux de l'Homme, à savoir la libre circulation des personnes. A.DERMECH