Standing ovation et deux rappels du public, malheureusement très peu nombreux, pour ce groupe unique en son genre qui nous vient de France et qui mérite de récidiver sur la scène élisabéthaine de Hammamet. Eh oui ! Les festivaliers ne veulent plus se casser la tête. Les organisateurs non plus. Les premiers remuent ciel et terre pour avoir un billet qui leur permet d'assister, en live, à des concerts de vedettes qu'ils connaissent déjà trop bien, et les seconds, un peu trop démocrates à notre goût, ne se soucient que du guichet. Le mot « découverte » n'a plus de sens pour nos « festivaux », (comme le disent si bien certains Tunisiens, devenus tout à coup francophiles) ni pour la majorité du public, éduqué aux « routaniet ». Heureusement qu'on tombe parfois sur des spectacles qui valent le déplacement et que pour nous — « journaleux » — « couvrir » veut dire aussi « découvrir». Ce fut le cas, mardi dernier, pour les « Têtes Raides », au Festival International de Hammamet. Ce groupe, apparemment méconnu des Tunisiens, puisque les gradins étaient loin d'être au complet, a été créé en 1984, en banlieue parisienne, sous le nom de Red Ted. Ce n'est qu'en 1987 qu'il change de nom. D'après les informations que nous avons trouvées (sur Internet, bien sûr), « Têtes Raides » étaient à l'origine un groupe plutôt électrique, influencé par la scène punk. L'arrivée d'Anne–Gaëlle Bisquay, violoncelliste de formation classique, sur le troisième album (Les oiseaux) marque un tournant dans l'univers musical du groupe. Le top est donné. Un écran, sur lequel on projette des graphiques (ratures scratchs et une sorte de pellicule qui brûle), illumine la scène. Le groupe fait son entrée et entame une musique aux rythmes d'un cœur qui bat la chamade. On accroche tout de suite. Puis, on aime. La couleur musicale est assez spéciale. « Têtes Raides » ont une manière très personnelle d'être dans la tradition musicale française. Ce qu'on a lu dans « Les In rocks » (un magazine d'actualité culturelle), avant de se rendre au concert se vérifie : « Le monde des Têtes Raides se nourrit des vestiges poétiques et musicaux d'une époque révolue, avec lesquels ils s'efforcent de sonder la réalité profonde de maintenant ». Le groupe est donc politiquement engagé. On apprend qu'au lendemain du 21 avril 2002, il lance, avec divers mouvements politiques, syndicaux, sociaux et artistiques : Avis de KO social. En réaction à la présence du «Front national (parti français)» Front National au second tour des élections présidentielles de France. L'objectif est de « se battre pour nos vies, et pour tout ce qui peut les rendre belles et joyeuses : la liberté d'aller et de nous installer où nous voulons ; le droit à un revenu décent, qu'il soit ou non lié à un emploi ; un logement où vivre ; l'accès à un système de santé de qualité pour tous et toutes ; l'égalité effective entre les hommes et les femmes ; un usage intelligent de toutes les ressources de notre planète ; la visibilité et les droits de tous ceux et celles que, parmi nous, on appelle « minorités » ; la libre circulation du savoir, des progrès techniques ou scientifiques ; l'art ; des systèmes sociaux, politiques, éducatifs et économiques, au service des besoins et des désirs de tous et toutes ; etc. » Suivez nos regards ! C'est ça les Têtes Raides. Et c'est rock, c'est bal musette, c'est cirque, c'est cabaret, c'est théâtre... C'est « Atmosphère ! » Et nous avions, ce soir-là, une gueule d'atmosphère ! Car les paroles de ces chansons à thèmes tombent à pic. Si on remplace « Paris » par « Tunis », les chansons cracheraient toute notre colère, contre l'horreur humaine, qui devient comme un jeu. Contre ce silence qui pleut, toutes ces gueules éphémères et ces esprits nauséabonds... Allez ! Rêvons un petit coup ! On y va, on n'y va pas, à toute allure on fonce droit dans le mur. C'est Christian Olivier qui chante ces paroles (que nous avons adaptées à notre façon) et beaucoup d'autres qui ont un sens pour nous. Christian est également graphiste, percussionniste, saxophoniste, joue à l'accordéon et joue, tout court, comme un acteur. Sa voix nous rappelle celle de Brel, Lavilliers, ou plutôt, Ferré. Quelque chose qui appartient, en tout cas, à cet univers-là. Dommage, selon les critiques d'« In rocks », qu'après toutes ces années d'existence, et tous ces albums, (qui dépassent les 18, dont « Corps de mots », «Les terriens », « Les oiseaux »...) on ne peut reconnaître aux Têtes Raides que ce petit statut d'underground, bien immérité au regard de leur grand talent et de leur vraie originalité. Les festivaliers du mardi soir, eux, en tout cas, reconnaissent ce talent. Ils l'ont chaudement applaudi, avec deux rappels. Mais nous ne finirons pas cet article avant de saluer ce très beau moment clé du concert, lorsque la scène n'est éclairée que par une lampe à incandescence qui se balance. C'était, on ne peut pas mieux dire, théâtral !