Un album plus personnel que les précédents Il a toujours été inclassable depuis ses débuts en Tunisie, encore plus quand il est parti rejoindre d'autres voix de la création. Dhafer Youssef vient de sortir un nouvel album après Malak1999, Electric Sufi en 2001, Digital Prophecy en 2003, Divine Shadows en 2006, Glow en 2007 et Abu Nawas Rhapsody en 2010, voici le Birds requiem, un titre évocateur d'une âme triste puisque le mot requiem renvoie à une forme musicale propre à la messe funèbre et une prière pour les âmes des défunts. Comme toute aventure, cet album est le fruit d'une rencontre qui a débuté en 2011 lorsqu'il invite le clarinettiste Hüsnü Senlendirici et le joueur de qanun Aytaç Dogan pour une performance à Ludwigsbourg, en Allemagne. Inspiré par cette rencontre, Dhafer Youssef construit Birds requiem comme une musique de film. Un album très personnel, fidèle à un parcours marqué par l'influence de la scène «planante» scandinave sur le traitement du son de groupe. La voix de Dhafer Youssef y croise les mélodies de la clarinette de Hüsnü Senlendirici jusqu'à ce qu'ils s'accordent sur la même fréquence. Le qanun d'Aytaç Dogan, la trompette de Nils Peter Molvaer et la guitare d'Eivind Aarset renforcent l'ambiance atmosphérique. Le piano de Kristjan Randalu ainsi que la contrebasse de Phil Donkin et la batterie de Chander Sardjoe fédèrent une énergie hors-pair. Onze titres forment ce requiem pour les oiseaux, ils se suivent et s'enchaînent selon un parfait équilibre si intense et si fragile alternant des phrases rythmées, des sonorités volatiles et des silences suspendus. Le travail sur la voix et les vocalises accentue cet univers que Dhafer Youssef cherche toujours à atteindre. Cette délicatesse inaccessible de faire de la musique non pas un agencement de sons et d'instruments, mais une atmosphère diaphane qui résonne dans la tête, touche l'âme et embrase le ciel. Parfois oriental, parfois jazz occidental mais toujours inclassable, puisque c'est une musique qui parle aux anges et qui titille l'abstrait. Car le groove y prend une couleur particulière à l'ombre des structures mélodiques du jazz européen laissant la place à un lyrique manifeste qui a marqué, dès les premiers albums une identité musicale authentique imprégnée par ses origines sans tomber dans l'orientalisme typique. La musique de Dhafer Youssef est qualifiée de mystique puisqu'il il s'est inspiré de la poésie arabe, telle que Djalal Eddine Rûmi, El-Hallaj et autres philosophes et poètes soufis, mais il a porté, aussi, de sa voix les textes d'Abu Nawas, poète persan du VIIe siècle connu pour ses odes au vin dans la société conservatrice de son époque dans Abu Nawas Rhapsody qui fut un manifeste musical de la chute des barrières entre sacré et profane. Dans Birds requiem, Dhafer Youssef ne tourne pas le dos à l'identité artistique forgée au fil des expériences, mais il s'est mis à chercher ailleurs. Et c'est chez le clarinettiste turc Hüsnü Şenlendirici et le joueur de qanun Aytaç Dogan qu'il trouvera l'objet de sa quête pour un disque, très personnel, qui marque un détour dans le parcours de l'artiste. C'est l'album de tout un périple, aussi fatigant qu'enthousiasmant. C'est l'album de la rédemption. Sorti dans les bacs européens depuis le mois d'octobre dernier, il débarque bientôt sous nos cieux.