Le report à 2015 des négociations sur les majorations salariales pour le secteur public, source de tension entre le gouvernement et l'Ugtt Les prémices d'une nouvelle crise gouvernement-Ugtt pointe du nez, à quelques jours du démarrage de la campagne électorale pour les élections législatives, le 4 octobre prochain. Le signe annonciateur d'une crise probable est la réaction immédiate de l'Ugtt à la déclaration du porte-parole officiel de la présidence du gouvernement, déclaration faite à l'issue de la réunion du Conseil des ministres, vendredi dernier. Nidhal Ouerfelli avait déclaré : «Les négociations générales sur les majorations salariales n'auront pas lieu en 2014... Ces négociations se dérouleront sous le gouvernement issu des prochaines élections». Pour l'Ugtt, cette déclaration, émanant d'une décision unilatérale, est irrecevable tant au niveau de la forme que du contenu ; c'est «une violation du contrat social... et une atteinte aux règles du dialogue», répliquera le secrétaire général adjoint de l'Ugtt chargé de la communication. Dans la même déclaration à l'agence TAP, Sami Tahri prévient que l'Ugtt prendra les mesures nécessaires à cette décision du gouvernement Jomâa. En arrière-plan de ces déclarations, à des années-lumière des rounds de négociations auxquels se sont habitués les partenaires sociaux, une période de tension sociale entretenue par une succession de grèves, de mouvements de protestations et de sit-in touchant divers secteurs, qui ont repris de plus belle depuis quelques mois. Après une brève période d'accalmie coïncidant avec l'arrivée au pouvoir du gouvernement des technocrates succédant à celui de la Troïka II. Pour la centrale syndicale, la situation économique et financière difficile ne justifie pas le report des augmentations salariales dans le secteur public. Et pour cause : au moment où le pouvoir d'achat continue de dégringoler, le gouvernement Jomâa n'a pas pu juguler la flambée des prix ni la spéculation ou la contrebande. A l'heure actuelle, il n'est pas erroné de soupçonner le début d'un sérieux bras de fer entre les deux parties, même si l'approche des élections ne plaide pas pour cette thèse. Mais le cas échéant, faut-il craindre la compromission du dernier sprint électoral ? Sinon, le gouvernement Jomâa, dont la grande priorité était de mener à bon port les élections, réussira-t-il à convaincre les ténors de l'Ugtt de patienter jusqu'après les élections ? Un homme politique et un économiste donnent à La Presse leurs points de vue. «Nous n'avons pas deux catégories de citoyens» M. Mustapha Ben Ahmed, membre du bureau exécutif de Nida Tounès, ancien dirigeant à l'Ugtt, se contraint à l'objectivité en répondant aux questions de La Presse. «Pour moi, la situation est claire : tout le monde se plaint de la cherté de la vie, gouvernement, partis politiques, société civile et citoyens ; le pouvoir d'achat du Tunisien n'a jamais été aussi bas. Le problème n'est pas l'Ugtt mais l‘incapacité du citoyen à satisfaire ses besoins quotidiens. Or, il y a eu une promesse du gouvernement Jomâa d'organiser des négociations salariales, y compris pour le secteur public. Nous n'avons pas deux catégories de citoyens en Tunisie et quand on entame des négociations sociales, celles-ci doivent concerner tout le monde. Certes, le gouvernement a des contraintes financières, mais toutes les solutions qui ont été préconisées jusque-là, y compris l'emprunt national, ont pénalisé le salarié, le travailleur. Le gouvernement n'a pas pris des mesures globales, comme celles relatives aux impôts dus par une certaine classe aisée». Pour l'ancien syndicaliste, la solidarité nationale exige un partage équitable des charges et c'est «au gouvernement d'en assumer une bonne partie comme celle qui consiste à apporter des aides aux familles démunies, en particulier en période de Ramadan, d'Aïd et de rentrée scolaire, au lieu de « déléguer » cette responsabilité aux partis politiques en cette période particulièrement délicate avant les élections». Et M. Ben Ahmed de souligner que « les accusations portées contre l'Ugtt de s'adonner à un jeu politique en cette période sont de la pure calomnie ; le gouvernement Jomâa doit tout simplement assumer ses responsabilités jusqu'au bout même s'il ne lui reste plus qu'un seul jour au pouvoir». Pour le nidaiste, la solution est la réinstauration du dialogue et la reprise des négociations, «c'est la seule issue, car la réalité est que la situation est explosive dans les régions rurales». Le point de vue de l'économiste Ezzedine Saïdane n'est pas différent de celui du politique. «Le gouvernement et l'Ugtt ont des soucis complètement différents alors que les élections approchent à grands pas. Le gouvernement veut réussir les élections et pour cela il faut un minimum de paix sociale. Le gouvernement fait face par ailleurs à un déficit budgétaire très sérieux. L'idéal pour le gouvernement serait de quitter le pouvoir avec un déficit raisonnable de 5,6% par exemple, comme l'a annoncé Nidhal Ouerfelli, ce qui est mieux qu'en 2013». Et à l'expert de poursuivre : «Pour l'Ugtt, le problème est qu'il n'y a pas eu d'augmentations en 2013 et que le gouvernement les refuse également pour 2014». Selon Saïdane, il est encore prématuré de parler de bras de fer même si le ton est dur des deux côtés. «Il s'agit plutôt de différence d'approche, de stratégie », estime l'expert économiste qui, tout en émettant le souhait que l'escalade soit évitée, confie qu'il y a eu une très mauvaise gestion des affaires économiques et financières du pays, «et cela se paye» .