«Les sons et les parfums tournent dans l'air du soir» : le vers fameux de Baudelaire s'applique à l'atmosphère qui régnait vendredi soir à l'Acropolium de Carthage. Avant-hier donc, une soirée Mozart parfaite, idéalement graduée et interprétée par nos amis belges: Thierry Cammaert à l'hautbois —un familier de l'Octobre musical—, Roberte Mamou au piano et le Quartz Friends Orchestra dirigé par Gérard Noak. Le Concerto pour piano n° 12 en la majeur a donné le ton de la soirée. Il a été magnifiquement exécuté au piano dont la mélodie s'est faite de velours, soutenu par les violons de Gudrun Vercampt et Alain Meulemans, l'alto de Brigitte de Callatay, le violoncelle de Yseult Kervin de Meerendre, la contrebasse de Kevin Conru et le cor de Pierre Billet. Ils ont pu ressortir les multiples facettes d'un Mozart brillant, léger et bouleversant: ils ont offert aux mélomanes du classicisme intelligent dont l'intensité poignante de chacune des phrases a été jouée avec une sorte d'élasticité qui éclairait son propos. Le mélange hétéroclite des instruments est d'une surprenante fraîcheur et permet surtout, plus qu'il ne laisse, des mélodies ou des phrases s'incruster dans la mémoire, de créer d'étonnants et savoureux contrastes. D'autant plus que la concentration extrême, la parfaite osmose entre les instrumentistes, a pleinement révélé l'œuvre dont la souplesse dit le tout et son contraire, unissant joie et gravité, recueillement et fantaisie. Suit, ensuite, une œuvre rare du compositeur belge Sylvain Dupuis ( 1856-1931), une première au Maghreb. Thierry Cammaert nous apprend que «après avoir cherché en vain et consulté toutes les bibliothèques du Royaume pour trouver le matériel pour cordes du concertino de Dupuis —avant deux jours de son décès (le 5 mars 2014—, Madame Jaqueline Roskam, petite-fille du compositeur, m'a signalé que la majorité des partitions de son grand père étaient à la Bibliothèque de Liège. Ayant déjà consulté celle-ci, j'ai dû me résoudre au fait que la partition avait dû être détruite durant les bombardements et qu'il ne restait que la partie de hautbois et piano. Nous avons alors demandé à la compositrice Line Adam de reconstituer la partie des cordes», affirme-t-il. Pour cette partition, Gérard Noack obtient de ses musiciens une mise en place rythmique impeccable, tout en laissant au récitant (l'excellent Thierry Cammaert à l'hautbois) l'ajustement des touches mélodieuses tendres et gracieuses. Le concertino pour hautbois et cordes ( Larghetto-Allegro agitato) de Dupuis conclut, donc, cette première partie marquée par la virtuosité et l'excellence. Après la pause, retour au classicisme avec le concerto pour piano n°9, dit «Jeune homme», en mi bémol majeur, K. 271. de W.A. Mozart. Le public a été conquis par l'échange en forme de dialogue piano-orchestre du premier mouvement mené avec une grande subtilité par le pianiste et le chef jusqu'aux derniers airs qui concluent ce mouvement, avant d'aborder la grande pureté des lignes mélodiques qui vont suivre. Tout au long de l'œuvre, l'équilibre était précis, clair et d'une grande majesté de forme. Après ces moments de bonheur musical et malgré l'heure tardive, les acclamations du public à l'égard de musiciens sans cesse en quête de perfection paraissent ne jamais devoir s'arrêter.