Par Abdelhamid Gmati A priori, la campagne électorale pour ce second tour de la présidentielle met aux prises deux candidats, chacun développant sa propre stratégie. Béji Caïd Essebsi se pose comme sauveur de la Tunisie tandis que Moncef Marzouki se présente comme sauveur de la révolution. L'agressivité et la diabolisation de l'adversaire n'ont pas disparu malgré l'avertissement de l'Isie qui, en outre, refuse qu'on mette en doute la transparence du scrutin. Cela n'a pas empêché le directeur de la campagne électorale de Moncef Marzouki, Adnane Mansar, de revenir à la charge en déclarant que « le président de la République provisoire ne cédera le pouvoir qu'à la seule condition que la présidentielle se soit déroulée dans la transparence et l'impartialité ». Rappelons que ce candidat avait déjà mis en doute les résultats du premier tour en introduisant des recours, tous rejetés par le Tribunal administratif. Cela découle de la stratégie de Marzouki de diaboliser l'adversaire en l'assimilant au régime dictatorial des rcédéistes. Parallèlement, les deux camps tentent de se rallier les partisans des autres partis. En réalité, l'enjeu, pour tous les partis, n'est pas seulement la présidentielle. Il s'agit, plutôt, de se positionner pour la conquête du pouvoir. Et le pouvoir, dans ce régime adopté par la nouvelle Constitution, se trouve à l'Assemblée des représentants du peuple et du futur gouvernement. Dans cet objectif, chacun manœuvre. Plusieurs partis ont pris position, chacun choisissant son camp. Certains, comme Al Jomhouri ou Al Mahabba, jouent la neutralité tout en laissant le libre choix à leurs électeurs. D'autres, comme Ettakatol, se contentent de s'opposer à un candidat sans se prononcer pour l'autre. Le Front populaire, très courtisé du fait de ses 15 députés, s'oppose à Marzouki « candidat d'Ennahdha » et conditionne son appui à Essebsi au refus d'une coalition avec le mouvement islamiste. Ennahdha joue les prolongations et fait attendre sa décision, tout en manœuvrant. L'un de ses dirigeants explique : «Nous refusons de nous jeter à l'eau comme cela; jusqu'à preuve du contraire, la direction de notre mouvement a été neutre, lors du premier tour de la présidentielle, et jusqu'à nouvel ordre aussi nous continuerons à être à égale distance des deux candidats, au second tour — et nous ne faisons cela que par souci de préservation des intérêts suprêmes de notre pays ». Son objectif est de jouer « gagnant, gagnant ». Publiquement, le mouvement joue la neutralité, laissant ses partisans choisir, comme au premier tour, les islamistes ayant voté en masse pour Marzouki. Survient la démission de l'un de ses leaders, Hamadi Jebali. Celui-ci se hâte pour mettre en garde contre l'hégémonie d'un seul parti, et donc le retour de la dictature. Ce que le mouvement ne fait pas officiellement, son dirigeant « démissionnaire » le déclare et prend position pour Marzouki. Et pour bien faire les choses, le porte-parole islamiste s'empresse de clamer que tout sera fait pour que le « démissionnaire » regagne les rangs. Une façon de se positionner sans le déclarer officiellement. Il suffit d'évaluer les intérêts pour être fixé. On prête au mouvement l'ambition de participer au futur gouvernement, histoire de se prémunir contre tout règlement de comptes. Mais Nida Tounès a exclu cette participation. Reste pour le mouvement son premier et principal objectif : revenir au pouvoir. Pour cela, il doit s'allier à Marzouki qu'il peut manipuler à sa guise comme cela était fait durant les trois dernières années. Marzouki, président, bloquerait les travaux de l'ARP et du gouvernement pour ensuite dissoudre cette assemblée et provoquer de nouvelles législatives où le mouvement se verrait vainqueur. Dans une récente déclaration à un journal étranger, Marzouki a affirmé qu'il serait un opposant au futur gouvernement. De son côté, Nida Tounès cherche l'appui des autres formations présentes à l'ARP. Son secrétaire général, Taïeb Baccouche, indique que son parti dispose d'une majorité d'environ 120 députés en étant soutenu par Afek Tounès, l'UPL, Al Moubadara et d'autres listes indépendantes. Et pour mieux asseoir sa majorité, il compte se rallier le Front populaire. Caïd Essebsi, lui, a rallié à sa candidature plusieurs formations ; ce qui lui fait dire « je suis le candidat de tous les partis démocratiques et progressistes ». Mais toutes ces manœuvres, non explicitées, donneront-elles les résultats escomptés ? On sait que l'électorat est versatile. On sait aussi que la population a d'autres préoccupations que celles traitées par les partis. Et là on risque fort d'avoir des surprises dont la moindre serait la lassitude de l'électorat et un fort taux d'abstention. Ce qui fausserait les calculs des uns et des autres.