En Libye, la bataille pour le contrôle du poste frontalier de Ras Jedir avec la Tunisie est décisive. Depuis quelques jours, d'âpres combats y ont lieu. Ils opposent les forces spéciales du général à la retraite Khalifa Haftar, alliées à l'armée libyenne, aux milices islamistes des groupes dits jihadistes. Celles-ci se déclinent sous la dénomination des forces de Fajr Libya. Les forces du général Khalifa Haftar procèdent exclusivement par des frappes aériennes. L'une d'elles aurait fait, avant-hier, dix-sept morts et plus de dix blessés parmi les groupes extrémistes. L'armée régulière relaye les forces spéciales de Khalifa Haftar. La Libye est livrée aux milices, depuis le renversement du régime de Kadhafi par une coalition de pays, notamment européens, sous l'égide de la France, des Etats-Unis d'Amérique, du Qatar et de l'Otan. Les innombrables milices islamistes sévissant aujourd'hui en Libye avaient servi de troupes terrestres aux bombardements de l'Otan, moyennant le concours besogneux du Français va-t-en guerre Bernard-Henri Lévy et de l'Américain néoconservateur John McCain. Résultat : le pays est officiellement «dirigé» actuellement par deux gouvernements et deux parlements qui se disputent le pouvoir à distance. Sans compter les quelque mille six cents milices et de la centaine de factions islamistes extrémistes disséminées un peu partout dans le pays. La destruction des structures de l'Etat libyen par l'Otan et ses alliés islamistes avait autorisé le pillage des arsenaux militaires par des groupes terroristes. Ils opèrent désormais en Tunisie, en Egypte et au nord du Mali. Les groupuscules islamistes terroristes se sont emparés depuis de la capitale, Tripoli, ainsi que de Benghazi, grande ville de l'Est libyen. Elles sont dispatchées en trois boucliers opérant à l'est, au centre et à l'ouest du pays. La bataille pour le contrôle du poste frontalier de Ras Jedir est, à bien des égards, éminemment stratégique. Ces deux dernières semaines, les forces spéciales du général Khalifa Haftar semblent avoir causé des dégâts considérables aux forces extrémistes. Celles-ci manqueraient de munitions, ce qui explique l'absence de la riposte de la DCA et de missiles sol air contre les avions de Haftar. Jusques-là, quelques ports libyens amenaient à foison des armes à bord de cargos en provenance notamment de Turquie. Les mêmes ports servent pour le transit de milliers de jeunes Tunisiens, Libyens et Maghrébins enrôlés dans le prétendu jihad en Syrie et en Irak. Pour les factions islamistes libyennes, Ras Jedir revêt une importance capitale. Le poste frontalier offre la possibilité d'entretenir un réseau de relations dans de nombreux pays, d'avoir des liaisons soutenues avec leurs alliés et d'acheminer les blessés vers les cliniques tunisiennes. En effet, il y a actuellement de nombreux terroristes libyens dans nos cliniques, aux dires des officiels tunisiens. Par ailleurs, chaque semaine ou presque, les autorités tunisiennes mettent en échec des convois d'armes en provenance de Libye, destinées aux cellules terroristes dormantes en Tunisie ou aux terroristes opérant au jebel Chaâmbi et ailleurs. Le va-et-vient des groupuscules terroristes et le trafic illégal des armes entre la Tunisie et la Libye est patent. Les évolutions en Libye surviennent dans un contexte particulier. La semaine dernière, le Qatar s'était rallié aux cinq autres monarchies du Golfe pour soutenir le pouvoir égyptien d'Abdel Fattah al-Sissi. Auparavant, le soutien du Qatar aux Frères musulmans d'Egypte avait provoqué une profonde brouille diplomatique entre les deux pays. La nouvelle position du Qatar a été annoncée le 9 décembre au terme du sommet annuel à Doha du Conseil de coopération du Golfe (regroupant l'Arabie Saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Koweït, le sultanat d'Oman et le Qatar). En fait, le Qatar est le principal allié et bailleur de fonds des factions islamistes extrémistes libyennes. Qu'il change de fusil d'épaule, et la donne libyenne serait profondément bouleversée. Tout porte à croire que l'issue de la bataille de Ras Jedir pèsera de tout son poids dans les évolutions en Libye. Le pays s'en retrouverait pratiquement cadenassé, côtés tunisien et égyptien, par les troupes de Haftar et l'armée régulière. Et la marge de manœuvre extérieure des forces extrémistes s'en ressentirait profondément, même si elles gardent toujours une profondeur stratégique du côté du nord du Mali via le Niger et du sud de la Libye limitrophe du Tchad et du Soudan.