Filmer et documenter l'Histoire. Dans le cadre de la troisième session du festival international du film des Droits de l'homme, une rencontre a été organisée au Kino club au Manar, au lendemain de l'ouverture. Ayant pour thème «Le documentaire tunisien et l'écriture de l'histoire», cette rencontre a été animée par le critique de cinéma Naceur Sardi, avec la participation de l'anthropologue Nozha Skik et du jeune réalisateur Abdallah Yahya, dont le film Nous sommes ici a remporté le prix du festival, l'année dernière. La rencontre a démarré sur une présentation par Naceur Sardi d'extraits de documentaires tunisiens dont Maudit soit le phosphate de Sami Tlili, Wled Ammar de Nasreddine Ben Maati, Fallega 2011 de Rafik Omrani, Coloquinte de Mahmoud Jemni, Revolution under 5 de Ridha Tlili et Nous sommes ici de Abdallah Yahya. Ces extraits ont permis au critique de dire comment la documentation de la révolution est partie de 2008. Egalement, Naceur Sardi a fait une analyse par génération. Les jeunes se sont intéressés au présent, alors que l'ancienne génération est revenue sur des thèmes de leur propre jeunesse, comme la torture sous Ben Ali et Bourguiba, comme dans les films Coloquinte et La mémoire noire de Hichem Ben Ammar. En même temps, malgré quelques convergences, les approches diffèrent. De nombreux réalisateurs ont opté pour l'historisation d'un événement particulier, comme La Kasbah 1 pour Rafik Omrani, les Incidents du rach pour Samir Harbaoui. Quant à Babylon, réalisé par Ismaël Louati, Alaeddine Slim et Youssef Chebbi, et qui raconte le camp de Choucha, c'est une historisation d'un point de vue philosophique, explique Naceur Sardi. Ces réalisateurs ont choisi de filmer un aspect particulier de la révolution, alors que d'autres ont choisi de tout filmer, comme Plus jamais peur de Mourad Ben cheikh et Rouge parole d'Elyes Baccar. «En 2014, plus de 80 films ont été réalisés en Tunisie, mais ils ne sont pas vus par le public», a conclu Naceur Sardi avant de céder la parole à Nozha Skik. L'anthropologue a noté le fait que depuis 2011, tout est documenté grâce à l'image. «L'importance de l'image est une question qui se pose maintenant et plus que jamais, puisque nous ne lisons plus, c'est elle qui relève l'écrit, a-t-elle expliqué. «Rien ne pourra plus échapper à la documentation», ajoute Nozha Skik qui rappelle que l'avant-2011 n'obéit pas à la même réalité, et reste sans historisation par l'image. Selon elle, il faut s'y pencher afin que la relation des Tunisiens avec leur Histoire ne soit pas semblable à leur relation avec un musée qu'on considère statique et figé. L'anthropologue fait d'ailleurs appel aux jeunes cinéastes pour jouer ce rôle, grâce à la facilité qu'offre le numérique, et malgré la rareté de traces et de documents. «Cette facilité technique nous met, en effet, devant une grande responsabilité, celle de ne pas céder à la rapidité», résume-t-elle. Adballah Yahya est parti de son expérience filmique pour expliquer l'écriture du documentaire, véhicule de l'Histoire. Pour lui, elle se fait avec le montage et le choix des personnages. Peu à peu, l'exploration s'affine pour donner le point de vue du réalisateur à travers ce qu'il a choisi de montrer, et la manière dont il a choisi de le faire. A propos de la situation du documentaire en Tunisie, Abdallah Yahya pense que cette vague qui déferle et se caractérise par la diversité saura évoluer en un mouvement homogène et cohérent pour le cinéma documentaire. «Nos films vont dans des festivals internationaux et des films du monde entier passent dans nos festivals, sans oublier que l'avènement de la révolution a imposé une nouvelle vision pour le documentaire en Tunisie». A la fin de la rencontre, Naceur Sardi nous a expliqué que les extraits projetés feront partie d'un film de 52 minutes qu'il prépare sur ce même thème de l'écriture de l'Histoire par le documentaire.