Par Khaled TEBOURBI Jeannette Bougrab, ex-ministre de Sarkozy, compagne de Charb : «J'ai fait le tour des pays en guerre, je suis allée au Pakistan, j'ai rencontré des talibans, j'en suis revenue sans mal ; lui, a trouvé la mort, ici même, au cœur de Paris, en pleine conférence de rédaction! La vérité? Face au terrorisme islamiste nous n'avons toujours pas la législation qu'il faut...». Elsa Wolinski, fille de Wolinski : «On savait, tous, que l'on courait des risques, il savait, lui-même, qu'il était en danger, mais qu'il soit abattu de cette façon, en France, et dans les bureaux de Charlie Hebdo, à cela personne n'a jamais songé !... Aziz Sahiri, expert sécuritaire, à «C'est dans l'air», jeudi : «Aujourd'hui, encore, en France, pour soi-disant maintenir le «calme» dans les prisons, on laisse des prédicateurs jihadistes diriger des cercles de délinquants «convertis». Ce qui en résulte est explosif, on en fait le tragique constat, là, devant nous, et on ne se pose des questions qu'après coup!...». Pourquoi ces témoignages, et pas une condamnation et une manifestation solidaire d'emblée? Simplement, chers confrères, chers amis de «Charlie Hebdo», parce que pour nous autres, journalistes tunisiens, celles-ci vont de soi. Ne vous fiez pas trop à la malheureuse parenthèse de la dictature, la presse libre vante une longue et vaillante tradition en Tunisie, et la liberté de la presse, du temps même du protectorat, y a toujours été pratiquée et défendue envers et contre tout. Envers les despotismes, les chauvinismes, envers les racismes et les extrémismes. Nul besoin d'épanchements, chers confrères, chers amis. On est les héritiers de «Ahd el Aman» (première Constitution du monde arabo-musulman), on est les enfants du bourguibisme et de la révolution de la dignité et de la liberté, ce qui vous a frappés, mercredi, au siège de «Charlie Hebdo» nous a touchés au plus profond. Et l'on en a semblé «sans voix» parce que c'est à des valeurs qui nous sont communes que les tueurs de «daesh» ont porté le «coup». Parce que nos douleurs étaient les mêmes, et parce que nous devions les partager tout naturellement. Maintenant, les propos de Jeannette Bougrab, de Elsa Wolinski et de Aziz Sahiri nous rappellent aussi qu'en matière d'islamisme et d'intégrisme, la presse française, dans sa majorité, n'a pas forcément tenu les meilleurs discours ni adopté les plus justes positions. Cette presse-là, chers amis et confrères de Charlie Hebdo, n'a «harmonisé» ses opinions au sujet de l'islam politique et de ses ramifications criminelles qu'à l'occasion (fait, tout de même, étrange) du malheur qui s'est abattu sur votre journal. Cette presse sort aujourd'hui, sur de longues manchettes, le slogan fraternel «Je suis Charlie», mais pas plus tard qu'hier, on s'en souvient tous, elle réservait des «Unes» élogieuses, et des «talk-shows» laudateurs au PSG qatari. Sans jamais suggérer le moindre doute sur les «tenants» ou les «aboutissants». Cette presse-là, chers amis de «Charlie Hebdo», défendit avec aplomb les partisans de Morsi et leur ouvrit grands ses pages et ses plateaux. Cette presse, enfin, et c'est pourquoi nous sommes solidaires mais pas oublieux, a méchamment ricané de nos élections, n'y comprenant rien qui vaille, titrant, quasiment partout, sur «le peuple qui choisit de réélire ses bourreaux» ou sur «la Tunisie de la contre-révolution». Même l'amuseur tristement cathodique, le sieur Ruquier, a cru rallier le «bon sens de l'histoire» en riant aux éclats du «président papy». Merci, au passage, à Hélé Béji d'avoir ramené ce «cancre illettré» à sa pitoyable dimension. Mais on ne peut conclure sans préciser une chose. Plus précisément, sans éclairer cette même presse sur ce qu'elle n'a pu ou n'a pas voulu comprendre de la transition politique de la Tunisie et du vote des Tunisiens. On lui dira, en substance, ceci : Bougrab, Elsa Wolinski et Aziz Sahiri ont, tous les trois, parlé «d'erreurs dans la prévention et le traitement de l'extrémisme religieux», eh bien c'est exactement ce que près de 2 millions de nos compatriotes ont très probablement su éviter en choisissant d'élire ses actuels gouvernants. Pas sorcier du tout ! C'était ou cela, ou le scénario, fort probable, d'un pays où des terroristes peuvent décimer un journal entier en massacrant ses rédacteurs, et où des prédicateurs étrangement «à leurs aises» forment des jeunes jihadistes terroristes dans des «arrière-salles» de prisons.