Gagner est dur, s'arrêter sur une performance l'est encore plus... Le constat ne trompe pas : l'équipe de Tunisie a fortement évolué depuis sa première apparition à la CAN. En trois matches, sa marge de progression est évidente. L'effet papillon touche le rendement à la fois collectif et individuel des joueurs. Cette chenille qui a particulièrement inquiété lors du premier match est désormais sortie de son cocon pour voler vers le haut. Ses battements d'ailes se sont surtout accélérés face à la RD Congo. Mais le fait est encore là. La sélection sait être efficace, elle sait aussi gagner aux points, mais elle ne donne pas encore l'impression, et peut-être bien la conviction, de pouvoir le faire par K.-O. Une autre équipe serait peut-être aujourd'hui éliminée. Tant l'accumulation des défaillances rendait son jeu stérile et inapproprié. Face à tous ses ennuis du début de la compétition, elle aurait pu jeter l'éponge. Mais les joueurs s'étaient promis de revenir tout en haut. Ils ne voulaient pas justement disparaître comme ça. Ils y ont cru à fond. Ils ne s'imaginaient pas en train d'échouer. Ils étaient persuadés que leur passage à vide ne pouvait être que momentané. D'une prestation à l'autre, l'équipe est parvenue à se ressaisir, à optimiser son jeu et à se libérer. Les moments difficiles par lesquels elle est passée lui ont donné l'envie de se surpasser. Il paraît qu'à un stade de la compétition, au moment de « la crise des démons», certaines équipes se renouvellent et se régénèrent. Un bataillon africain en ordre de marche et un ensemble qui vit autant d'espoirs que de craintes. La sélection est à sa place, qui n'est ni celle du cancre ni celle du surdoué. C'est le genre de parcours qui a toutes les chances de laisser des souvenirs pour quelques années et qui donne l'envie réelle de respirer l'air du foot. Quand les joueurs se regardent dans la glace, ils ont de quoi être fiers de tout ce qu'ils ne cessent d'entreprendre. Une autre musique a commencé à être jouée. Une musique inaccessible à l'orchestre du premier match. Ça promet... A ce niveau d'évolution, ce n'est peut-être pas un autre football. C'est un autre monde où l'on reconnaît que l'équipe est parvenue à resserrer ses rangs et à ne plus mettre de distance entre ses ambitions et le registre de jeu dans lequel elle est censée évoluer. Quelque chose nous dit qu'elle est capable aujourd'hui de dégager une tout autre tonalité, comme une rude beauté, et que partout le jeu sera dans l'enjeu. Si l'on doit retenir quelque chose de spécial dans le comportement et le rendement de l'équipe lors du dernier match, ça sera l'esprit qui y règne. Un esprit entièrement tourné vers le mouvement, la générosité, l'initiative, l'anticipation et, contrairement aux précédentes prestations, l'attaque. Elle apporte ainsi la preuve que l'enjeu n'est pas l'ennemi du jeu. Il y a même des moments où elle pousse la démonstration jusqu'à la perfection. Lorsque le talent se double d'efficacité, la palette devient plus large et la sélection devient capable de dérouler un football multiforme et à géométrie variable. Le modèle de jeu développé, notamment en première mi-temps, a réussi à accréditer l'idée selon laquelle les joueurs et les choix tactiques sont interchangeables, remplaçables sans que le rendement général ne soit affecté. Leekens a remis l'apport du sélectionneur au centre des débats, prouvant qu'il avait une part capitale dans les résultats de son équipe. Il aura ainsi remis un peu de grandeur au jeu de la sélection. Il ne s'est pas caché derrière les justifications, il n'a pas polémiqué sur les conditions de séjour et de travail. En somme, il a le mérite de s'arrêter à temps lorsqu'il sentait qu'il était sur le point de déborder. Toutefois, il y a encore davantage de chemin à accomplir. Gagner est dur, s'arrêter sur une victoire l'est encore plus. La présence de l'équipe de Tunisie dans cette CAN a l'art de remettre les choses en perspective, mais surtout chacun à sa place. L'image du football tunisien dépend beaucoup trop, et presque uniquement, de la sélection. Ce n'est pas une question d'individualités, ou de responsabilité technique. On juge aux résultats. Et au jeu. Mais aux résultats avant le jeu. Les priorités de l'équipe de Tunisie devront désormais se situer dans la recherche d'une harmonie encore plus efficiente, d'une unité de pensée et d'action encore plus efficace... Ce qui nous impressionne le plus c'est autant l'aspect technique des choses que l'évolution psychologique des joueurs et la préservation des dons individuels dans un collectif ordonné. La sélection peut devenir un candidat naturel à la victoire finale. Sans que cette aspiration passe pour de la prétention.