Pas un corps, pas une profession, pas une région qui ne soit exaspéré par le manque d'intérêt pour ses propres conditions de vie. Mais aussi par la politique de l'autruche dont ont fait preuve les décideurs de l'ère révolutionnaire. L'impatience est générale. Après les enseignants, les instituteurs, les postiers, les agents des télécommunications, les huissiers de justice, c'est au tour de leurs homologues de santé d'entrer, depuis hier, dans une grève générale, paralysant les services de soins dans les différents hôpitaux du pays. Et là, une phrase, une seule, qui revient à chaque fois sur toutes les lèvres, telle une rengaine : nos revendications sont des plus légitimes. Hier matin, les blouses blanches ont paradé sur l'esplanade de La Kasbah, à la Place du gouvernement. Ils ont répondu à l'appel de leur fédération syndicale agissant sous la bannière de l'Ugtt. Ils ont défilé sous un soleil printanier, donnant un avant-goût de pression à n'en pas finir. «On proteste jusqu'à la satisfaction de nos demandes», martellent-ils haut et fort en brandissant des slogans qui résument tout. «Non au retour aux pratiques révolues...», «persistants jusqu'au bout...» et bien d'autres entonnés et chantés pour créer l'effet papillon. Kais Bousaha, secrétaire général régional de la fédération générale de la santé, bureau de Ben Arous, nous a révélé que leurs revendications, alors qu'elles faisaient l'objet d'accords déjà signés avec le ministère de tutelle, sont restées, jusque-là, lettre morte. Et de déplorer que le gouvernement fasse, aujourd'hui, marche arrière. Et pour cause. Leur débrayage semble être justifié, surtout «que les négociations-marathon d'hier ont été reléguées aux calendes grecques». Sans qu'une tentative de rapprochement des positions soit, ainsi, prise au sérieux, comme l'a souligné M. Bousaha. Une sorte de fuite en avant, à défaut de venir à bout du problème. Retour à la table des négociations résume, en soi, la portée d'un dialogue bilatéral qui soit franc et constructif. Que veulent ces professionnels de la santé et qu'en est-il de la légitimité de leurs revendications ? Demandes ignorées Pour le syndicaliste représentant la région de Ben Arous, il y a tant de demandes à satisfaire, mais une seule est retenue comme le cheval de bataille de toute la corporation. Il est question, selon lui, de la doter d'un statut particulier, à l'image de leurs homologues dans d'autres secteurs, en l'occurrence celui de l'enseignement. «Il s'agit là d'une demande assez ancienne qui date des années 80 et que, malheureusement, tous les gouvernements successifs ont ignorée...», rappelle-t-il pour la petite histoire. Et ce n'est pas tout. Il en va de même pour d'autres points qu'il estime de taille : octroi de la prime de risque, révision de l'horaire du travail de nuit et réajustement de son calendrier, reconnaissance de la pénibilité du métier, homologation des diplômes, promotion professionnelle et réforme du secteur de la santé. La liste des revendications est longue, mais les grévistes s'attachent beaucoup plus à ce qu'un statut soit approuvé. Cela émane de leur conscience qu'à la faveur de l'article 2 de la loi organisant la fonction publique, l'adoption d'un tel statut pourra tout résoudre. Etant donné que la profession doit être soumise, avant tout, à un cadre législatif l'organisant. Escalade en vue C'est pourquoi tous les participants à la grève d'hier se sont accordés à prôner une seule revendication en étroite liaison avec la promotion de la profession. Le secrétaire général de la Fédération de la santé, M. Othmane Jallouli, n'a cessé de crier haut et fort pour se faire entendre ainsi que ses collègues, et pour passer un message clair, révélateur d'un grand défi et menaçant d'escalade. Et d'enchérir : «On est là, on ne cédera jamais...». Ainsi s'adresse-t-il, en promettant de revenir à La Kasbah. Un dernier mot qu'il lance, sur un air de colère, avant de se rendre à la présidence du gouvernement, où il s'est entretenu avec Saïd Blel, conseiller auprès du chef du gouvernement chargé des affaires sociales. Un entretien au cours duquel, aux dires de M. Jallouli, un échange de vue s'est particulièrement instauré autour de la question. Mais, rien de plus. Aucune promesse n'a été faite à ce niveau, nous a-t-il déclaré au terme d'une rencontre jugée sans suite favorable. Elle s'apparente, plutôt, à une simple visite de courtoisie. Mais, le syndicaliste ne va pas s'arrêter là. Mise à part la grève d'aujourd'hui, prévue pour son deuxième jour consécutif, l'escalade, d'après lui, ne sera pas évitée, dans les jours à venir.