Les uns confirment, les autres infirment. Le dénouement tragique de l'affaire du kidnapping de nos deux journalistes en Libye, annoncé par les autorités libyennes, est accueilli par un refus obstiné de la part des nôtres, qui nous rappelle celui qu'elles ont affiché, lors de l'annonce de leur exécution par leurs ravisseurs, il y a quelques mois. Il va sans dire que l'on espère de tout cœur que Sofiène Chourabi et Nadhir Ktari seront retrouvés sains et saufs. Mais, ce qui importe le plus ici, c'est le comportement des autorités tunisiennes tout au long de ce processus. Qu'est-ce qu'elles ont fait pour débloquer la situation, excepté les démentis? Pendant tout ce temps-là, on n'a vu aucun signe rassurant à part une vague de mobilisation nationale, appuyée sur des slogans émotionnels, et qui s'est très vite évaporée, et de vagues promesses données par le ministère des Affaires étrangères de résoudre la crise par le biais de la fameuse cellule de crise dont le sort était, visiblement, celui des «commissions d'enquête». Notre diplomatie est-elle exempte de tout reproche à ce niveau? Ou bien assume-t-elle une responsabilité dans tout ce qui vient d'arriver? Une impartialité suspecte Il est vrai que des pourparlers dans un cadre pareil doivent être frappés du sceau du secret pour pouvoir donner le résultat escompté. Donc, on ne peut pas reprocher au ministère des Affaires étrangères son refus de divulguer le contenu des négociations avec les parties libyennes concernées. La sécurité de nos journalistes impose une telle discrétion. On ne peut pas non plus exiger de lui une obligation de résultat. Seulement, on est en droit de lui demander des comptes quant aux moyens mis en œuvre par lui en vue d'essayer d'assurer une issue favorable à cette affaire. Est-ce que cette condition était remplie comme il se doit? Il est à rappeler, à ce propos, qu'au moment de l'enlèvement des deux diplomates tunisiens à Tripoli, l'ex-ministre des Affaires étrangères, Mongi Hamdi, a affirmé que nos autorités ne négocieraient pas avec des groupes armés hors-la-loi, mais avec leurs homologues libyens, faisant comme s'il y avait réellement un Etat dans ce pays qui s'enfonce dans le chaos le plus total. C'était en fait un discours destiné à la consommation médiatique, car on a vu, plus tard, comment ces milices et les chefs de tribu étaient partie prenante des négociations dont ils étaient même les principaux animateurs. Mais, si ces dernières ont abouti, concernant les deux diplomates, elles ont malheureusement échoué, jusque-là, avec nos deux journalistes. C'est peut-être à cause de leur laïcité qui ne plaît pas aux jihadistes, comme le soutiennent certains. D'autre part, est-ce que l'impartialité adoptée par l'Etat tunisien vis-à-vis du conflit libyen est bien appropriée au contexte? A-t-elle aidé à préserver sa sécurité nationale et l'intégrité physique de ses ressortissants? Les faits sont là pour réfuter cette hypothèse, comme le sait tout un chacun. Les frontières libyennes étaient et sont toujours la zone de turbulence la plus menaçante pour la Tunisie, par où transitent les armes, les terroristes et la contrebande. Et plus de trente Tunisiens sont enlevés en Libye, à part Ktari et Chourabi, et l'Etat tunisien ne bronche pas. Il préfère suivre de loin le conflit comme un simple spectateur, et ne pas s'y ingérer ne serait-ce que diplomatiquement, comme si la Tunisie était située au pôle Nord, pendant que d'autres pays très éloignés géographiquement de la Libye pensent y intervenir militairement, bien que leur sécurité nationale ne soit aucunement menacée comme ils le prétendent. Une démocratie à géométrie variable L'Egypte n'y est pas allée de main morte et a asséné des coups meurtriers aux assassins de ses compatriotes. Ces représailles étaient condamnées par certains de nos «apprentis démocrates», au nom de la non-ingérence dans les affaires intérieures d'un Etat, prêchant par là une démocratie douteuse. Les décisions prises par nos autorités au sujet du conflit libyen ont toujours été tributaires de la conjoncture, en ce sens qu'elles étaient arrêtées en fonction des rapports de force du moment, existants sur le terrain entre les protaginistes, et non pas par rapport à la légitimité des uns et des autres. Pour rappeler un peu le contexte, nos gouvernements sucessifs ont jugé bon de reconnaître aussi bien les vainqueurs des élections parlementaires de juin 2014, les forces démocratiques, que les vaincus, c'est-à-dire les frères musulmans et les salafistes qui ont essuyé un échec cuisant et humiliant. Contestant une démocratie qui ne leur était pas profitable, ces derniers ont refusé de reconnaître le verdict des urnes et constitué leur propre parlement et leur propre gouvernement. Ils n'étaient pas les seuls à contester ces résultats, leurs congénères tunisiens, nos fervents défenseurs de la légitimité au temps de la Troïka, ont fait de même. D'ailleurs, même nos démocrates au pouvoir leur ont emboîté le pas, puisque l'actuel ministre des Affaires étrangèrla, Taieb Baccouche, a déclaré, au mois de février dernier, que la Tunisie s'engageait à se tenir à égale distance des parties en conflit en Libye, et ce en installant deux consulats, l'un dans l'Est et l'autre dans l'Ouest du pays, ajoutant que la Tunisie encourageait les deux gouvernements à lutter efficacement contre les groupes terroristes sévissant dans le pays. Drôle d'impartialité! On traite sur un pied d'égalité la victime et le bourreau et on invite le loup à garder le troupeau. Eh bien, cette prétendue neutralité légendaire, pourquoi ne l'a-t-on pas vue au Yémen? Quelles sont les raisons de cette immixtion dans un conflit interne? L'intérêt? On n'en voit aucun. Ces rétractations et ces incohérences trahissent une diplomatie hésitante et hasardeuse qui fonctionne à tâtons. Manifestement, c'est lorsqu'elle est le moins engagée qu'elle s'engage le plus...