La scène du «petit» théâtre d'El Hamra, théâtre dit «de tous les arts», est, ces jours-ci, en ébullition... Elle fête ses 30 ans d'amour avec son prince qui lui a tendu la main un jour qu'elle était abandonnée... pour la marier à l'art avec tant de bonheur et de réussite. Et ce mur de fond de scène, qui a une longue histoire, se lit comme un tableau de Picasso, où on peut imaginer ce qu'on veut... dressé comme une œuvre qui défie le temps.... Bahram Aloui l'escalade dans tous les sens dans The End car le théâtre de Gannoun est un théâtre qui bouge, plein de vie et de génie créateur ! Aussi peut-on oublier un instant ce tango génial sur des chaises roulantes exécuté à merveille par Cyrine Gannoun et Oussama Kochkar dans Monstranum's.... Elle crie : «Je veux aimer, aimer à n'en plus finir !»... L'amour est toujours présent dans les pièces de Gannoun et les problèmes de la vie sont aussi, souvent même, des problèmes de relation humaine... Hob fil khrif ou Nouassi.... Un metteur en scène se doit d'être un militant et Gannoun l'était... Dans ses textes ou dans ses approches et sa traduction des textes de la non moins militante Leila Toubel, il défend toujours la liberté... Elle est aussi totale qu'indivisible pour lui. L'injustice, la dictature, le pouvoir absolu expliquent sa défense indéfectible des causes justes. La scène où Bahri Rahali (Gaetano dans Monstranum's) il embrasse son siège dont il ne peut se séparer, traduit l'attachement aveugle de nos responsables à la fonction... «Ô, ma chaise adorée, je t'aime tellement que je suis prêt à mettre mon honneur comme un paillasson devant les bureaux ; je préfère mourir que de te quitter ! Je t'aime plus que mes enfants, plus que mes trippes, plus que mon pays!»... Dans le langage de Gannoun se mêlaient le «beldi» de Halfaouine, «le bandi» tendre et solide à la fois, le «paternel» aimant et généreux, mais aussi l'ami présent et fidèle... Le militant Gannoun ne plaisait pas au pouvoir... Sans être «l'anar» de service, il était le penseur avant-gardiste et le défenseur de la liberté de penser. Nous célébrons le 40e jour de son départ... Mais Ezzeddine n'est pas homme à lâcher les siens... En fait, l'artiste, le vrai, le créateur, le formateur de comédiens ne peut s'en aller comme ça, sur la pointe des pieds, sans crier gare ! Nous acceptons le sort que le destin lui a réservé (avons-nous le choix ?), mais nous refusons de fermer le rideau sur la scène sur laquelle il a sué, crié, tapé du pied, ri, pleuré. Sa fille Cyrine, fidèle à l'image du metteur en scène et à sa pensée, prendra courageusement la relève et El Hamra continuera de vivre car l'âme de Ezzeddine planera encore et toujours sur cette scène mythique, tandis que la voix de Alia Sellami continuera de chanter l'amour et la liberté, si chère à Gannoun ! En fait, il est parti pour nous laisser le temps de voir que c'était mieux avec lui... Il est parti juste le temps qu'on comprenne que les choses de l'art peuvent être comprises avec un peu de retard...