Les démons de la division se sont réveillés entre les avocats et les magistrats à propos de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature. Les avocats crient à «la dictature des magistrats». Ces derniers répliquent qu'ils n'ont de leçons (en démocratie) à recevoir de personne. On croyait la hache de guerre enterrée entre les défenseurs de la veuve et de l'orphelin et les juges, à la suite de l'affaire qui s'est déroulée dernièrement au Tribunal de première instance de Sfax quand des avocats se sont attaqués au procureur de la République et sont allés jusqu'à le séquestrer dans son bureau. Malheureusement, les démons de la division se sont réveillés à la faveur de l'adoption par l'Assemblée des représentants du peuple (ARP) de la loi organique portant création du Conseil supérieur de la magistrature. Hier, les avocats ont publié une déclaration publique signée par le bâtonnier de l'Ordre national, Me Mohamed Fadhel Mahfoudh, dans laquelle ils accusent clairement les magistrats opposés à la loi sur le CSM de «chercher à domestiquer de nouveau la magistrature et à renouer avec la justice de la dictature obéissant aux ordres». Ils vont jusqu'à mettre en cause «la crédibilité du président de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois qui a déjà exprimé son opposition à la loi en question en signant, en sa qualité de président de l'Instance, un communiqué dans lequel l'ensemble de la famille judiciaire (à l'exception des avocats) a dénoncé le projet de loi à la suite de son adoption par le Parlement et a appelé le chef de l'Etat à ne pas le signer et à ne pas le promulguer». Et les avocats de poursuivre leurs reproches «aux tentatives des magistrats de domestiquer la justice» en dénonçant crûment «la grève de cinq jours observée au cours de la semaine écoulée par les magistrats portant une grave atteinte aux intérêts des justiciables». Ils se proclament également les mieux placés pour décider si le pourvoi introduit par les députés mécontents (30 au départ avant que deux députés ne se retirent) auprès de l'Instance va être rejeté purement et simplement parce que «truffé d'irrégularités et de dysfonctionnements, au plan de la forme, sans oublier que certains parmi les députés auteurs du recours ont approuvé le projet de loi en commission et lors de la séance plénière, ce qui rend caduque leur opposition». Qu'ils balaient devant leurs portes Et comme prévu, les magistrats ne sont pas restés les bras croisés puisqu'ils se sont dressés, hier, comme un seul homme, pour répondre aux accusations des avocats. Raoudha Laâbidi, présidente du Syndicat des magistrats tunisiens (SMT), confie à La Presse : «Il est de notre droit absolu d'appeler à la révision, voire à l'annulation, de la loi portant création du Conseil supérieur de la magistrature. Nous considérons que certaines de ses dispositions sont contraires à la Constitution et nous avons demandé au président de la République d'user des attributions que lui confère la Constitution afin de rectifier le tir et de renvoyer le projet de loi (c'est toujours un projet de loi avant sa promulgation dans le Jort) de nouveau devant les députés. Les avocats nous accusent de bloquer avec notre grève la justice et de porter atteinte aux droits des justiciables. Mais ils oublient leur comportement inacceptable quand ils ont attaqué le procureur de la République au Tribunal de Sfax et mis en danger la marche du même tribunal pour une affaire personnelle (une avocate dénonçant l'arrestation de son frère). Aujourd'hui, ils nous donnent des leçons de professionnalisme et vont jusqu'à refuser que les magistrats exercent leur droit à la grève, un droit constitutionnel que personne ne peut mettre en cause». Ahmed Rahmouni, président de l'Observatoire tunisien pour l'indépendance de la magistrature (Otim), s'est invité à la messe et déclare que «la déclaration de l'Ordre des avocats est diffamatoire et agressive». En attendant, l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois a accusé réception du recours soumis par les députés contre la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Le recours est accompagné d'une pétition signée par 28 députés qui a vu les députés Youssef Jouini et Taoufik Jouini (UPL) retirer leurs signatures. L'Instance dispose de dix jours avant de se prononcer si le recours est recevable ou pas.