Fadhel Omrane : « Votre projet est effrayant !» Fermement mais avec beaucoup de courtoisie, la commission de législation générale a auditionné lundi des représentants de l'Association des magistrats tunisiens (AMT), à leur tête la présidente Raoudha Karafi. Avec dans les mains un projet de loi alternatif à celui présenté par le ministère de la Justice, Raoudha Karafi a défendu la formation d'un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) aux larges prérogatives, notamment en matière de sanctions des juges. Le projet dévoilé par l'AMT exclut, en effet, le tiers composé de non-magistrats de toute séance relative à des mesures disciplinaires à l'encontre d'un juge. « C'est un projet effrayant ! », s'exclame Fadhel Omrane, président du groupe parlementaire de Nida Tounès, qui s'interroge notamment sur le rôle futur du ministère de la Justice « si tout se décide, comme le prévoit le projet, au niveau du CSM ». Gouvernement des juges Si la présidente de l'AMT s'est défendue de tenter d'exclure les avocats de la composition du conseil, elle s'oppose à ce que le tiers accordé par l'article 112 de la Constitution aux non-magistrats soit entièrement attribué aux avocats. Pour elle et l'AMT, ce tiers doit être également ouvert aux experts et aux représentants de la société civile. Selon le même projet, ce tiers est habilité à prendre part à toute délibération du conseil à l'exception des décisions disciplinaires concernant les magistrats. « Qui surveille les juges ? Peut-on faire appel si le CSM, tel que vous le concevez, blanchit un juge corrompu ? », se demandent encore Fadhel Omrane ainsi que plusieurs autres députés de la commission, qui redoutent un « gouvernement des juges ». « N'ayez crainte, rétorquent les représentants de l'AMT. Il n'y aura pas de gouvernement des juges. Le pouvoir judiciaire est certes indépendant, mais il existe des garde-fous ». La présidente de l'AMT rappelle dans ce sens que pour les justiciables, les processus de poursuite, d'enquête et de prononciation des sentences sont distinctement cloisonnés. « Les citoyens bénéficient aussi d'une juridiction à trois degrés, et de la possibilité de sanctions disciplinaires à l'encontre des juges, et si tout cela ne suffit pas le Parlement peut décider de réviser à la baisse le budget de l'instance lorsqu'il prend acte du caractère hégémonique de ses décisions », tentent de rassurer Raoudha Karafi et son équipe. Des arguments qui laissent incrédules les députés, puisqu'ils savent qu'avec leurs deux tiers, les magistrats sont finalement les seuls maîtres à bord, et ainsi aucun projet ne pourrait être remis en cause car inscrit dans l'article 112 de la Constitution, portant création du CSM. « Nous connaissons ces manœuvres, confie le député Ghazi Chaouachi (Courant démocratique). Les magistrats poussent à l'extrême leurs exigences et leurs prérogatives, pour qu'au final nous nous rencontrions au milieu ». Justice militaire, la difficile équation C'est véritablement une des pièces maîtresses du puzzle que les députés peinent à caser dans le grand tableau de la justice et plus particulièrement dans le Conseil supérieur de la magistrature. La justice militaire est en effet rattachée pour le moment au ministère de la Défense. Or, l'article 106 de la Constitution de janvier 2014 dispose que « les magistrats sont nommés par décret présidentiel sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature ». « Comment peut-on être sujet à l'avis conforme du CSM si nous n'en faisons pas partie ? », se demande le général de brigade et procureur général Ali Fatnassi. Cela veut-il dire que les tribunaux militaires devraient être représentés au sein du CSM ? Ce n'est pas aussi simple, car la justice militaire a cela de particulier : elle ne peut pas se permettre de laisser au CSM la liberté de décider des sanctions disciplinaires à l'encontre des juges militaires (prérogatives du CSM selon le projet). Un pied dedans, un pied dehors pour les tribunaux militaires ? Et si on décidait que la justice militaire serait représentée au CSM, sous quelle forme cela se serait-il ? La Constitution dans son article 112 ne cite que trois conseils à l'intérieur du CSM, il s'agit du Conseil de la juridiction judiciaire, du Conseil de la juridiction administrative et du Conseil de la juridiction financière. Aucune mention ou allusion n'est faite à la justice militaire. Hier en tout cas, les représentants des tribunaux militaires ont fait trois propositions devant la commission de législation générale, sans en privilégier une en particulier. La première option est d'intégrer les juges militaires au ministère de la Justice pour être par la suite rattachés aux tribunaux militaires, qui, eux, restent sous la coupe du ministère de la Défense. La deuxième option consisterait, selon le document, à représenter les juges militaires en leurs qualités propres et, enfin, une troisième voie abonde dans le sens d'un statut quo, qui laisserait à la juridiction militaire sa particularité et son indépendance. Seul hic, cette dernière proposition contredit l'article 106 de la Constitution. Auditionné mercredi dernier, le ministre de la Justice, Mohamed Salah Ben Aïssa, a regretté que le texte de la Constitution en relation avec le pouvoir judiciaire soit « écrit de manière médiocre ». La commission de législation générale présidée par le pointilleux Abada El Kéfi (Nida Tounès) devra trouver des réponses à deux questions fondamentales : comment faire du tiers des non-magistrats un contrôleur attentif des magistrats ? Et puis surtout, quel rôle aura le ministère de la Justice au lendemain de la création du Conseil supérieur de la magistrature. Dans les coulisses du parlement Le projet des avocats déposé Le bâtonnier Fadhel Mahfoudh a déposé hier, auprès du président de l'Assemblée des représentants du peuple, le projet de loi alternatif des avocats portant création du Conseil supérieur de la magistrature. Fadhel Mahfoudh a précisé que le projet est accompagné d'un tableau comparatif avec le projet de loi élaboré par la commission de rédaction du ministère de la Justice. Mohamed Ennaceur revoit ses troupes Tôt hier matin, le président de l'ARP, Mohamed Ennaceur, a procédé à une tournée d'inspection au Parlement. Il s'est particulièrement intéressé aux procédures d'accès à l'enceinte du Parlement. Dans ce contexte sécuritaire particulier, le président du Parlement a ordonné l'application scrupuleuse de toutes les procédures sécuritaires à l'entrée. La Tunisie à l'honneur Le Forum mondial des femmes parlementaires a décerné son prix pour cette année à la Tunisie. Avec ses 70 élues (32.25%), notre pays prend en effet la tête des pays arabes en termes de représentativité des femmes au sein de son parlement national. La délégation tunisienne qui s'est déplacée à Addis-Abeba est composée de la deuxième adjointe au président de l'Assemblée, Faouzia Ben Fedha, la présidents de la commission des droits, libertés et relations extérieures, Bochra Belhaj Hamida, ainsi que la membre de la commission de règlement intérieur, Héla Hammi.