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Salah Ben Youssef: La légende et la contre-légende
Publié dans Leaders le 05 - 04 - 2024

Figé dans des stéréotypes façonnés par son grand rival Bourguiba, Salah Ben Youssef (1907- 1961) n'a jamais bénéficié d'un récit de parcours complet, analytique et objectif. Idéalisé par les siens, il fera l'objet, depuis 1987 et surtout après 2011, de multiples tentatives de récupération mémorielle et d'instrumentalisation politique. Le souvenir qui restera dans les mémoires est celui de son duel avec Bourguiba, qui s'est terminé dans le sang, avec son assassinat impuni, dans une chambre d'hôtel à Francfort, le 12 août 1961.
De l'engagement patriotique destourien de Salah Ben Youssef, dès 1934, de sa direction du parti, après l'exil de Bourguiba au Caire, de ses relations avec Lamine Bey et ses proches, de son entrée en «ministre rebelle» au gouvernement Chenik à la tête du ministère de la Justice et de son exil en Egypte, seules des bribes éparses sont rapportées ici et là. Tout comme de son périple asiatique et de sa participation au sommet de Bandoeng, de son retour à Tunis en 1955 et de sa confrontation directe avec Bourguiba, dans le prolongement d'une rivalité intensément réciproque. Les pièces du puzzle étaient à rassembler.A cette lourde et délicate tâche, Noureddine Dougui, spécialiste de l'histoire contemporaine, s'est attelé studieusement. Son livre intitulé «Salah Ben Youssef, une légende tunisienne», publié par Sud Editions, apporte des éclairages inédits. Plus qu'une biographie exhaustive, l'auteur procède à une lecture attentive d'un vaste corpus de documents, rapports, discours et témoignages qu'il a puisés à bonnes sources et décortiqués. A travers le parcours de Ben Youssef, il revisite l'histoire du mouvement national, mettant en exergue des détails peu connus, comme «l'hibernation politique forcée» et la mise en veilleuse du Néo-Destour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.Si sa vie d'étudiant à Paris, militant au sein de l'Association des étudiants d'Afrique du Nord (Aemna ), est détaillée, sa vie privée, des années plus tard, à Tunis, en France ou en Egypte, ne pouvant être omise, est brièvement mentionnée, en toute circonspection. L'essentiel, pour l'auteur, est ailleurs.
«Le choc des leaders»
Noureddine Dougui met face à face Bourguiba et Ben Youssef. Tous deux, à quelques années d'âge, juristes formés à la Sorbonne, avocats, livrant côte à côte un même combat, subissant de lourdes épreuves, modernistes et habiles à la manœuvre politique, étaient dotés d'un charisme et de multiples talents reconnus… Leurs ambitions personnelles les opposeront l'un à l'autre, au risque de mettre le pays à feu et à sang. Le reflet de l'un se lit dans l'attitude de l'autre. «Le choc des leaders» sera fatal pour Ben Youssef. Sa triste fin fera naître sa légende.
Avec méthodologie et rigueur, Noureddine Dougui déconstruit tant de mythes qui entouraient cette figure marquante du mouvement national dont le rayonnement s'était élargi aux pays du Maghreb, arabes, africains et asiatiques. Le regard perspicace qu'il portera sur son parcours, croisant différentes sources, lève un coin de voile sur des séquences essentielles, significatives. Les circonstances de l'assassinat de Ben Youssef, bien que non encore totalement élucidées, bénéficient d'une reconstitution précise, signalant des zones d'ombre qui persistent toujours.
L'exfiltration
Auparavant, les détails de son exfiltration vers la Libye, le 27 janvier 1956, avant qu'il ne soit arrêté le lendemain même à l'aube, sont relatés minutieusement. Le duel porté au paroxysme ne pouvait plus durer. Le Haut-commissaire de la France, Roger Syedoux, soucieux d'éviter le pire, devait convaincre Bourguiba, chef du gouvernement, soit d'arrêter Ben Youssef, soit de le faire partir à l'étranger. Bref, «régler le problème.» L'arrestation fut décidée, ainsi que son envoi à Tripoli. Avisé de l'imminence de son arrestation par l'un des membres du cabinet de Mongi Slim, alors ministre de l'Intérieur, Salah Ben Youssef quittera le soir même son domicile pour réapparaître quelques jours plus tard en Libye et tenter de déclencher un soulèvement armé.
Décryptage, analyse
Les nombreuses interrogations que suscite Salah Ben Youssef trouveront dans ce livre de bons débuts de réponse. Si les faits et les analyses prévalent, le récit épouse souvent un style romancé, décrivant des scènes pittoresques, des traits de caractère personnels, des personnages significatifs. Noureddine Dougui retient l'attention du lecteur, l'introduit dans les secrets d'une époque, lui révèle un Salah Ben Youssef comme il l'a été réellement, dans ses différentes dimensions.
Sans prétendre à l'exhaustivité, il aura contribué par cet ouvrage à l'enrichissement de la mémoire nationale en toute objectivité.
Bonnes feuilles
A partir de 1961, Ben Youssef fut, comme nombre de ses compagnons de lutte, à la fois, l'objet de stéréotypes et victime de marginalisation mémorielle. Son principal vainqueur, Bourguiba, féru d'histoire, revenant constamment sur les épisodes du Mouvement national, a livré à la postérité une image tronquée de son adversaire, représenté comme semeur de discorde et de trouble.
En réaction, les partisans de Ben Youssef ont brossé de lui, après l'éviction de Bourguiba, un portrait idyllique qui ne dévoile pas toute la complexité du personnage. Sa mémoire, restée vivace après sa disparition tragique, a inspiré une littérature politique relativement abondante. Longtemps occulté, Salah Ben Youssef, auréolé du prestige du martyr, fut sublimé, qui plus est une légende a été tissée autour de son action.
Les portraits dressés de Ben Youssef par les politiques sont le résultat de représentations souvent déformées du personnage. Son histoire a été reconstituée selon leur gré et souvent magnifiée, les constructeurs de cette image lui ont attribué une pensée politique, une doctrine et un projet culturel et politique. Au regard de ces éléments, Ben Youssef aurait été un héros invétéré qui, incarnant le refus du compromis, affronta courageusement l'adversité et le danger au péril de sa vie et finit par être frappé injustement par ses adversaires.
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L'histoire de Ben Youssef réémerge après la révolution de 2011, et donne prise à la récupération politique. Le Président Moncef Marzouki n'était pas en reste. De leur côté, les anciens youssefistes, les nationalistes arabes et les islamistes, empêtrés dans les conflits identitaires et idéologiques de la transition post-révolution, se surpassèrent pour puiser des repères dans son legs politique. Les nationalistes arabes y ont trouvé un leader naturel, un précurseur et le digne représentant du courant nassériste en Tunisie ; les islamistes, eux, faute d'avoir pu établir une filiation intellectuelle avec lui, ont trouvé dans son histoire une opportunité pour régler un compte politique avec Bourguiba.
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Ben Youssef fit une forte impression sur Bourguiba dès leur première rencontre. Jeune, dynamique, manifestement très cultivé, maniant avec aisance l'arabe littéraire et le français, le jeune avocat paraissait intelligent ; il avait le verbe haut et l'esprit clair. En somme, Salah Ben Youssef avait les qualités d'un jeune militant fougueux dont le profil correspondait à la perception que se faisait Bourguiba du bon nationaliste. De là sa décision de l'emmener avec lui dans ses tournées de propagande et de se l'attacher.
Pourtant, le jeune avocat ne payait pas de mine, homme trapu, d'apparence frêle, le visage barré par d'épaisses lunettes, il avait des traits accusés, un menton volontaire et le regard perçant. A 27 ans, il était encore un homme inconnu du grand public et de la police politique qui ne tardera pas à le répertorier comme un destourien notoire et à s'intéresser à tous ses faits et gestes. Quelques années plus tard, les Renseignements généraux français dresseront de Salah Ben Youssef un portrait mitigé, où il apparaissait comme un homme doté d'un esprit vif, «tribun dynamique et combatif ; jovial bien que de caractère assez secret, il a le goût du luxe et du plaisir, et aussi les ambitions du chef (…) Audacieux et malicieux à la fois, possédant l'art de la manœuvre comme celui de l'attaque. Orateur populaire autant que polémiste, il a le don de polariser les foules ». C'est justement cette force de persuasion doublée d'une forte personnalité qui le rendait pour certains irritant mais qui en fit un jeune espoir pour le Néo-Destour et un leader en devenir.
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Le destin de Salah Ben Youssef fut, à plus d'un titre, singulier dans la mesure où il a mené une carrière politique sinueuse, marquée par de nombreux revirements. Il fut tour à tour leader politique, opposant, ministre, négociateur et enfin chef de guerre.
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Dans cette trajectoire, ce qui retient l'attention, c'est l'inversion de la démarche initiale. Ben Youssef a commencé sa carrière comme homme de consensus et de compromis et l'a achevée comme animateur d'un mouvement de rupture, passant sans transition de la stature de négociateur à celle de chef de guerre, alors que d'ordinaire, les guerres de libération se terminent, comme ce fut le cas au Vietnam et plus tard en Algérie, lorsque les chefs de ces mouvements passent à la table des négociations. Faut-il imputer cette singularité à son «inconstance» idéologique comme le soutiennent ses adversaires ?
On a longtemps épilogué sur les préférences idéologiques de Ben Youssef, mais les arrière-plans de ses orientations politiques étaient rarement éclairés. Ses laudateurs lui attribuent le mérite d'avoir inscrit le sentiment panarabe, modérément diffus, par ailleurs, parmi certains milieux politiques et intellectuels tunisiens, dans un projet politique d'envergure visant à contrecarrer l'influence française. Cela suffit-il pour considérer Ben Youssef comme l'un des pères du nationalisme arabe en Tunisie ?
Salah Ben Youssef était avant tout un ardent nationaliste, il a fermement cru au droit de la Tunisie à disposer d'elle-même et a travaillé sans relâche pour faire triompher son idéal indépendantiste. Mais contrairement à Bourguiba qui craignait de voir la Tunisie se fondre dans le creuset arabe, son nationalisme n'était pas limitatif. Il a gardé de ses années d'études à Paris et de son passage par l'Aemna un sentiment d'appartenance à l'entité maghrébine, acquis au contact de jeunes militants maghrébins ; et lorsqu'il a séjourné au Caire, il ne fut pas insensible aux sirènes de l'arabisme. Mais cette affinité intellectuelle, dictée par des raisons tactiques, n'était pas dénuée de calcul politique.
En termes de doctrine, Ben Youssef n'a pas eu, selon toute vraisemblance, de maître à penser. La seule personne qui l'a inspiré politiquement fut Abdelaziz Thâalbi qu'il considérait comme un père spirituel et à qui il vouait une grande admiration. Mais contrairement à ce dernier, il n'a pas dirigé le Parti par la pensée mais par le verbe.
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Dans ces conditions, il n'est pas exagéré de dire que la doctrine de Ben Youssef, devenue syncrétique depuis 1952, superposait trois éléments : le nationalisme tunisien qu'il plaçait au centre de son combat, le panmaghrébisme et le panarabisme teinté d'islamisme. Mais rien dans son parcours et sa réflexion n'indique qu'il a dépassé ses sentiments politiques initiaux lorsqu'il s'est «converti» au nassérisme.
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Ben Youssef a initié un courant politique discordant au sein du Néo-Destour entraînant une fraction importante de la population tunisienne dans une action collective qui a fracturé le pays, deux ans durant, réveillant par là même les schismes sectaires qui avaient jadis fait basculer le pays dans la guerre civile.Les ruptures sont courantes dans les mouvements politiques, mais celle-ci n'est comparable à nulle autre, et surtout pas à la scission néo-destourienne de mars 1934 qui fut l'œuvre d'un groupe de jeunes militants unis autour d'un objectif commun. S'agissant de la crise de 1956, l'action de rupture fut initiée et dirigée par un seul homme contre son propre parti avec l'appui de néo-destouriens de deuxième ordre et de partis ou de groupes disparates connus par leur hostilité au Néo-Destour.
La revendication d'une indépendance inconditionnelle et immédiate a constitué un tournant. Le choc psychologique qu'elle a provoqué explique au premier chef la force du mouvement de ralliement au projet youssefiste, mais aussi l'alignement des adversaires de Ben Youssef sur ses positions maximalistes, notamment lors du congrès de Sfax. Bourguiba, lui-même s'est vu dans l'obligation de lui emprunter une partie de son programme.


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