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«J'étais à Tataouine, fugitive de l'Etat d'El Kamour»(*)
Publié dans Le Temps le 28 - 04 - 2017

Par notre envoyée spéciale à Tataouine Salma BOURAOUI
‘Faites attention à vous, on sait que la mission sera difficile', tels ont été les paroles de nos responsables avant que l'on ne quitte les locaux de Dar Assabah pour nous rendre à Tataouine là où tout se passe mal. Mais on n'aurait jamais imaginé que la tâche serait aussi pénible qu'elle ne l'a été pour nous. Départ de Tunis à 20 heures, arrivée à Tataouine à 5 heures du matin. Une ville fantôme où les seuls survivants étaient des hommes qui avaient pris d'assaut tous les carrefours de la ville dormant sous des tentes noires portant des inscriptions appelant à la révolte et à la révolution contre la faim et le chômage. Des hommes qui vérifieront, le lendemain, nos identités et qui décideront de notre sort...
11 heures du matin, Place du peuple, centre ville de Tataouine
On est appelé à couvrir un rassemblement des femmes de la ville qui sont sorties soutenir leurs ‘lions' qui croupissent au fin fond du Sahara. Après avoir assisté, impuissants, au lynchage et à l'évincement de nos collègues de Nessma TV, nous nous sommes décidés à entrer dans la foule et écouter les protestataires. C'est une dame, la petite quarantaine, qui m'arrête pour me demander si j'allais faire comme mes collègues et diffuser de fausses informations portant atteinte à la réputation des gens de la ville. Après un long argumentaire, j'ai réussi à la convaincre de ma sincérité, mais cela ne l'a pas empêchée de me lancer ‘je lirai votre article demain de toute manière et tout le monde sait où vous loger pour la nuit'. Cette même petite dame a enchaîné pour me raconter le malheureux sort de son mari qui a été renvoyé d'une société pétrolière et qui est au chômage depuis trois ans. ‘Nous n'avons pas de quoi manger alors que notre ville fournit au pays tout le pétrole dont il a besoin, il faut que l'Etat nous cède 20% de ces ressources pour que l'on puisse vivre dignement chez nous'. A peine le temps de me retourner qu'un barbu est venu pour me présenter sa vision de la chose ; pour lui, Tataouine est l'exemple parfait de la ville conservatrice et religieuse qui doit absolument avoir sa caisse indépendante pour pouvoir s'en sortir.
Voulant absolument nous rendre à El Kamour, nous avons commencé à chercher un moyen de transport ; au bout d'une demie heure de négociations, un camionneur a accepté de nous y emmener pour 50 dinars. En route vers le sit-in, le bonhomme nous avoue que la voiture n'a aucun papier et que lui-même ne dispose pas d'un permis de conduite. Comme la route était longue (170 km dont 70 de piste saharienne), le chauffeur – qui est titularisé dans l'une des sociétés pétrolières de la région en tant que serveur et qui nous montre fièrement son passe-désert – nous explique que le camion est utilisé par son frère pour la contrebande des cigarettes. Avant de monter à bord, je demande à un jeune si je peux, une fois sur place, trouver de quoi recharger mes appareils, le jeune me répond, assurément, ‘ne vous inquiétez de rien, nous avons bâti notre propre Etat là-bas'.
A mi-chemin, le conducteur nous demande d'appeler la coordination du sit-in ; il venait de se souvenir de quelque chose de très important : ‘si les sit-ineurs vous interdisaient l'accès, je ne pourrais rien faire pour vous et vous seriez obligé de trouver le moyen de revenir seuls à la ville'. Moment d'angoisse d'une courte durée qui a été achevé par l'aval du porte-parole du sit-in, Tarek Haddedi.
14 heures, El Kamour, à quelques kilomètres de la zone militaire tampon
Les tentes blanches et les drapeaux étaient visibles à 5 km des lieux. On distinguait aussi très bien les sit-ineurs dont certains se promenaient dans le désert cherchant désespérément à capter le réseau téléphonique. A notre arrivée, nos collègues d'Al Hiwar Ettounsi ont été évincés par les protestataires qui ont, par contre, chaleureusement accueillis les journalistes d'Al Jazzera. Plus tard, nos collègues de la chaîne Al Mayaddin nous ont appris qu'ils n'ont même pas quitté l'hôtel après qu'ils ont été interdits de toute la ville parce qu'ils travaillent pour le compte d'une chaîne télévisée pro Bachar Al Assad...
Après vérification de nos cartes de presse, les sit-ineurs se sont regroupés autour de notre collègue d'Assabah, Wajih Ouefi, tandis que moi, j'ai été convoquée sous la tente de la coordination. Entourée par une dizaine de personnes, je n'ai osé prendre la parole que trente minutes plus tard. Un débat vif a éclaté où on m'a expliqué que tous les médias tunisiens soutenaient le gouvernement de Youssef Chahed et faisaient tout pour qu'El Kamour soit défiguré. Une fois les esprits calmés, j'ai demandé aux présents de me désigner quelqu'un pour qu'il m'explique les demandes du sit-in. Un jeune s'est porté volontiers pour cette tâche sauf que son ami l'a coupé en plein élan expliquant qu'il leur fallait quelqu'un qui lise le français pour pouvoir vérifier mes notes. Une fois l'intéressé installé à mes côtés, j'ai commencé à rédiger ce qu'il me dictait jusqu'à ce qu'un autre individu arrive et m'oblige à suspendre le travail. Là encore, le débat a repris et il était question de nous expulser ; j'ai dû effacer tout ce j'ai rédigé et refermer le matériel.
Une heure plus tard, ils nous ont offert à manger et nous ont donné l'autorisation pour continuer notre travail, le tout sous une surveillance assurée. Les voix s'étaient mélangées entre ceux qui nous parlaient de leur droit au pétrole et ceux qui nous racontaient comment ils pouvaient mettre encore plus de pression sur le gouvernement. On parlait de prise d'assaut des sociétés et d'intrusion au Sahara, les plus extrémistes parlaient avec enthousiasme de la possibilité de se rendre sur les plateaux de production où le feu peut prendre rapidement. C'est à ce moment-là que tout a été interrompu avec l'arrivée de l'accusé dans l'assassinat du martyr Lotfi Naguedh, le fameux docteur Saïd Chebli. Accueillis chaleureusement par les présents, Saïd Chebli a tenu un petit speech d'encouragement à ‘ses fils' à qui il a demandé l'union et l'unité jusqu'à ce que ‘la partie soit remportée'. Après son départ, on nous a proposé une visite guidée des lieux ; les groupes électrogènes, les réservoirs de l'eau minérale, l'équipe et l'équipement médicaux et les troupeaux de moutons nous ont quand-même bien étonnés... Après la randonnée, nous avons demandé au camionneur de nous ramener en ville. En sortant du sit-in, un grand camion était arrivé livrer un chameau aux protestataires pour le souper.
17 heures, EL Kamour-Tataouine
Nous avons repris le même pick-up de la matinée et, derrière, quelques dizaines de personnes étaient difficilement attachés au coffre du camion ; elles rentraient en ville prendre la relève sur leurs amis qui passaient la nuit au sit-in. Sur le chemin du retour, une vision diabolique me hantait ; les images des pick-up transportant des personnes debout ressemblaient terriblement aux vidéos qui nous parvenaient l'année dernière de la Libye.
Sur les 170 km qui nous séparaient de la ville, nous avons dû croiser pas moins d'une cinquantaine de camion bourré de gens. Sur la route, une fois sortis de la piste, nous croisions des personnes devant chez elles qui sortaient saluer les « lions » et scander, fièrement, les slogans du sit-in. A quelques kilomètres de la ville, nous avons croisé un groupe de jeunes adolescents, vêtus de djellabas blanches, en train de préparer des cartons riches en slogans.
Vers 18h, la présence policière commençait enfin à se faire un peu sentir dans la ville ; on préparait activement l'arrivée du chef du gouvernement. Le soir, j'ai réussi un coup de fil où l'on m'a assuré que la grève générale était suspendue donnant ainsi un signe positif pour les officiels.
Jeudi, 9 heures, Tataouine centre ville
Une ville morte a reçu Youssef Chahed, hier, jeudi 27 avril ; tout était fermé et il fallait trouver le moyen de nous rendre au siège du gouvernorat pour attendre le cortège officiel, un siège situé 8 km du centre ville. Les taxis refusaient de nous y amener de peur que leurs véhicules ne soient vandalisés par les protestataires mais, heureusement, pour nous, un véhicule nous a reconnus et nous a emmené sur place. Une fois à bord, deux jeunes m'ont vivement exprimé leur mécontentement quant à mon travail qui a manqué de photos...
Présence policière et personnalités régionales attendaient Chahed qui, entre-temps, menait des négociations avec les représentants du sit-in au siège de l'ISET de Tataouine. Une heure plus tard, le convoi ministériel arrivait sur les lieux avec une mauvaise nouvelle ; les négociations avaient échoué et les protestataires ne voulaient rien entendre à part leur 20% des bénéfices du pétrole. Mais cela n'a pas empêché le chef du gouvernement de présider la journée régionale de l'encouragement des petits projets. Une fois son discours achevé, Youssef Chahed et ses ministres se sont retrouvés dans une situation très délicate après que des présents aient pris la parole pour leur ‘lancer leur quatre vérité au grand jour'. Au vu de l'impossibilité du dialogue, le convoi ministériel a dû quitter les lieux en coup de vent. Nous autres journalistes, nous avons tenté de prendre quelques images et nous avons dû courir après notre bus après que le cordon de sécurité ait été brisé par les protestataires...
A 17 heures, le chef du gouvernement et son équipe n'ont toujours pas quitté les lieux ; une équipe continue les négociations à l'hôtel où nous avons trouvé refuge tandis qu'une autre, menée par le ministre de la Formation professionnelle et de l'emploi, est revenue au siège du gouvernorat. La tension et l'angoisse sont à leur comble face à un avenir incertain et à la menace montante d'un dérapage qui pourrait nous être fatal.
Quelque soit le devenir des négociations, la situation à Tataouine et à El Kamour est grave et peut glisser dangereusement à tout instant.
S.B.
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(*)Merci à mon ami et collègue Hédi Yahmed pour l'emprunt du titre


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