C'est peut être un petit pas dans l'histoire de la législation tunisienne, mais c'est un grand pas pour des milliers de petites filles qui ne verront plus leur avenir voler en éclat à cause de la misère et de la pauvreté. En effet, depuis mercredi dernier et selon l'article 19 de la loi intégrale contre les violences faites aux femmes, toute personne qui emploiera une mineure en tant qu'aide ménagère sera condamné à une peine de prison allant de 3 à 6 mois et devra s'acquitter d'une amende de 1000 à 5000 DT. Ce n'est pas assez clament certains tant le fait de priver un enfant de son droit à l'éducation et à un avenir digne est un acte ignoble. Mais ce n'est là qu'un début, rassurent les autres, conscients que le bout du tunnel est encore loin mais que tout chemin, même celui de mille lieues, commence toujours par un premier pas. La publication, sur les réseaux sociaux, il y a quelques semaines de photos d'une petite fille trainant un chariot et suivant de près une dame âgée avait secoué la toile et provoqué l'ire d'une majorité de Tunisiens. La petite fille menue, à peine âgée d'une dizaine d'années, était au fait employée chez une famille de la banlieue nord pour venir en aide à la maîtresse de maison. Heureusement que l'affaire ait été ébruitée et que les services de protection de l'enfance aient intervenu pour mettre fin à cet esclavagisme moderne. La petite fille a pu être sauvée mais qu'en est-il de toutes les autres ? Qu'en est-il de ces milliers de petites filles, forcées dès leur plus jeune âge à quitter le domicile familial, très souvent situé dans des bourgs éloignés de tout et de tous, pour finir comme aide-ménagères dans les quartiers chics du Grand Tunis et des grandes villes ? Chaque année, elles sont plus d'une centaine à subir cette ignominie et cette injustice. Elles sont le plus souvent issues des villages reculés de Kasserine, de Tabarka, d'Ain Draham, de Siliana... Elles sont nées dans un environnement précaire et manquent de tout. Parfois, elles sont autorisées à aller à l'école pour un temps avant d'en être retirées de force. Leurs familles ne voient en elles qu'une source de revenus supplémentaire et c'est donc, malgré elles, la mort dans l'âme, qu'elles subissent le joug du diktat familial, patriarcal pour être plus précis. Forcées, leur enfance bafouée, elles sont réduites du jour au lendemain au statut d'aide-ménagère, une machine humaine à qui l'on délègue les sales besognes. Exploitées, déshumanisées, sous-payées, elles sont bien souvent victimes aussi d'humiliations ainsi que d'agressions physiques et sexuelles. Leur salaire est dans la quasi-majorité des cas reversé directement au père. Jusqu'au jour où elles prennent conscience de cette injustice. Elles ont alors deux choix : se taire ou se rebeller. Se taire et continuer à être ouvertement exploitées par leurs familles et par la société ou bien se rebeller et être pointées du doigt par une famille et des proches qui ne comprennent pas sa prise de position. Proies faciles, quasiment illettrées, sans soutien familial, elles sont nombreuses depuis des années à s'engouffrer dans le mauvais chemin et à écraser de leurs propres mains tout espoir d'un avenir meilleur. Combien sont-elles dans cette situation ? Les statistiques sont, à ce sujet, imprécises, hésitantes, tant il est difficile de connaître l'ampleur du phénomène qui semble banal dans les bourgs les plus éloignés. Quelques chiffres toutefois, d'après le ministère de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, chaque année, près de 9500 signalements relatifs à l'enfance sont enregistrés incluant notamment les cas d'emploi de mineurs. De même, près de 7,1 des femmes âgées entre 18 et 64 ans sont victimes d'abus financiers.