Précurseur dans la poésie tunisienne de langue française, Shams Nadir vient de publier un nouveau recueil aux éditions Dergham, au Liban. Entre souffle premier et résonances de l'univers, on y retrouve l'essence d'une poésie aux horizons multiples Lorsqu'il est entré en poésie, Mohamed Aziza s'était choisi pour pseudonyme Shams Nadir. C'était dans les années 1970, lorsque parut à la Maison tunisienne de l'Edition, son recueil "Le Silence des Sémaphores". Si "Shams" évoque aussi bien le soleil que le grand poète de Tabriz, "Nadir" est quant à lui porteur d'azimuts et de contrepoints célestes. Le nom artistique avait de quoi intriguer et suggérait de secrètes anabases et des fusions cosmiques. Le hiatus et la double tension Après ce premier recueil, Nadir publiera "Le Livre des Célébrations" (Publisud 1983). Ce sont les deux uniques recueils d'un auteur d'exception dont l'oeuvre se décline essentiellement en essais et récits. En effet, les essais de Mohamed Aziza sur l'Islam et l'image ou encore la calligraphie arabe restent des ouvrages de référence alors que ses récits "L'Astrolabe de la mer" (1983) ou "Les Portiques de la mer" (1992) révèlent d'autres aspects de sa verve poétique. Le lecteur est ainsi confronté à une oeuvre morcelée mais complémentaire, à deux auteurs dont les liens sont avérés et diffus dans chacun des livres publiés. Entre Mohamed Aziza et son double, c'est la distance intime qui sépare et réunit le penseur et le poète mais aussi un écart voulu pour que la parole de Shams Nadir reste marquée du sceau de la rareté. Quant à Mohamed Aziza, la vie l'a mené sur les chemins de la connaissance et des rencontres que ce soit comme président du Programme Med 21 ou en tant qu'inlassable chercheur d'or. Trente-cinq ans après son dernier recueil, voici donc Shams Nadir qui revient avec "Planisphère intime" qui vient de paraître aux éditions Dergham, au Liban. Préfacé par Alexandre Najjar, l'ouvrage est celui d'un homme et d'un poète dans la maturité de l'âge. A presque 80 ans, la lucidité change et l'on s'attarde moins sur les scories pour aller tout droit à l'essentiel. Le hiatus induit par le titre de l'ouvrage nous introduit dans une double tension qui quête la voie de l'intime tout en embrassant l'univers des planisphères. C'est à ce titre que l'on pourrait parler à propos de cette poésie d'exultations fondatrices, d'élans chevillés à la subjectivité la plus profonde. Entre les nadirs et les zéniths L'auteur continue à y célébrer les résonances du monde à partir de ses ancrages insécables. Il exulte, jubile, laisse venir les éblouissements puis se retranche dans son monde propre qui, en fait, est l'écho du carrousel céleste. Ici, tout est métaphore, jeu subtil entre le dit et l'indicible, correspondances inédites entre l'imparfait des mots et ce qu'ils ne désignent pas tout à fait. Avec Shams Nadir, nous sommes dans une plénitude poétique que connaissent bien les lecteurs des surréalistes et les adeptes de certaines formes ardues où l'hermétisme est une invitation à découvrir les cryptogrammes. Méditerranéen, Arabe, de plain-pied dans l'universalité, Shams Nadir nous met face à ses boussoles secrètes et suggère, avec conviction, que nous sommes tous des arpenteurs de planisphères mentaux, des cartographes de l'inédit qui est celé en nous. Dans ce double mouvement, cette dialectique de l'être-dans-le-monde, le lecteur se reconnait et retrouve son propre nadir/zénith. Car que serait le nadir sans son opposé le zénith? Et que serait chaque individu sans le planisphère qui le guide, le structure, le dévoile à lui-même?